Bande de Gaza: vers un protectorat américain?

Rachid Achachi.

ChroniqueLors d’une conférence de presse donnée aux côtés de Benjamin Netanyahou, Donald Trump a choqué en proposant de transformer Gaza en station balnéaire après en avoir déplacé la population. Derrière ce qui ressemble à une provocation se cache probablement une stratégie calculée: tester les réactions, élargir la marge de négociation et ménager Israël tout en poursuivant ses ambitions globales. Au-delà de la sidération, cette sortie éclaire les véritables priorités du président américain sur l’échiquier international.

Le 06/02/2025 à 11h00

Je pense ne pas exagérer en disant que presque tous les journalistes et spectateurs ont été médusés, dans la soirée du mardi 4 février, en écoutant les déclarations faites par le président américain Donald Trump, lors de sa conférence de presse aux côtés de Benjamin Netanyahou.

Et il y a de quoi être sidéré. Il a, sur un ton comme toujours provocateur, proposé ni plus ni moins que de prendre le contrôle de la bande de Gaza, déplacer la population locale, niveler le terrain puis en faire la «Côte d’Azur du Moyen-Orient». Même Netanyahou semblait ne pas y croire, vu qu’il n’a aucunement commenté ces déclarations qui ont pourtant fait jubiler l’extrême droite israélienne.

J’ai pris l’habitude de voir le terme «géopolitique» mis à toutes les sauces, allant de la géopolitique de l’eau ou du pétrole jusqu’à celle de l’espace, en passant même par celle du moustique. Je fais bien sûr ici référence au célèbre livre de l’écrivain français Erik Orsenna, intitulé «Géopolitique du moustique».

Mais là, même si l’expression n’a pas été prononcée, nous avons affaire à ce qu’on pourrait qualifier de «géopolitique immobilière». Un territoire devient un terrain, une population autochtone devient un groupe de squatteurs et l’instauration de la paix dans une région chroniquement instable se fait par le développement de stations balnéaires. Halford Mackinder et Friedrich Ratzel, les pères fondateurs de la géopolitique, doivent se retourner dans leur tombe.

Mais doit-on prendre au sérieux ces déclarations? Ne s’agit-il pas là d’un simple ballon d’essai destiné à prendre la température? Ou s’agit-il là encore d’une technique de négociation comme celles auxquelles nous a habitués Donald Trump? C’est fort possible.

D’ailleurs, face à la levée de boucliers de la plupart des chancelleries, tant occidentales que non occidentales, certains hauts responsables américains se sont empressés de mettre de l’eau dans le vin de leur leader. Le secrétaire d’État Marc Rubio a précisé par exemple qu’il ne fallait en aucun cas y voir une politique d’expulsion forcée des Palestiniens de Gaza, et qu’il s’agit, bien au contraire, d’une offre généreuse de prendre en charge la reconstruction de la bande, laissant entendre par là qu’il n’est question que d’un déplacement temporaire de la population locale. Mais dans le cas d’espèce, il semble évident qu’il s’agit là d’un euphémisme pour décrire ce qui s’apparente davantage à une épuration ethnique. Sans cadavres certes, mais une épuration ethnique quand même.

«Trump place toujours la barre très haut, quitte à paraître radical, mais pour mieux négocier par la suite, créant ainsi une vaste marge de compromis possible.»

Personnellement, je n’y crois pas un instant, et je pense que Trump vise un tout autre objectif. Premièrement parce qu’il est évident qu’à moins d’une invasion militaire américaine directe, jamais les Palestiniens, dans leur écrasante majorité, n’accepteront de quitter leur terre pour un prétendu eldorado en Arabie Saoudite ou en Jordanie. D’ailleurs, tous les États arabes de la région ont exprimé leur opposition frontale à cette idée. Ces derniers comprennent bien que ce qui est présenté comme temporaire risque très probablement de devenir définitif. De même, en plus de l’administration Trump, Israël a aussi ses projets pour la région, notamment celui du creusement du canal Ben Gourion, censé rivaliser avec le canal de Suez pour connecter la mer Rouge à la Méditerranée.

Deuxièmement parce que si Trump voulait réellement obliger les Palestiniens à quitter la bande de Gaza, il lui aurait suffi de laisser Netanyahou achever ce qu’il avait commencé, tout en le soutenant activement. Au lieu de cela, Trump a choisi, quelques jours avant son investiture, de tordre le bras au Premier ministre israélien pour l’obliger à accepter un cessez-le-feu.

Ainsi, les vrais objectifs de Trump sont peut-être ailleurs. Le président américain s’est peut-être contenté de dire ce que Netanyahou voulait entendre. Sa priorité est de mettre fin à la guerre en Ukraine et réorganiser le système collectif de défense en Occident. Car ce que beaucoup oublient ou ne savent pas, c’est que par-delà le MAGA (Make America Great Again), le grand projet de Trump est plutôt le MWGA (Make the West Great Again). Dans cette perspective, temporiser et gagner du temps sur le dossier proche-oriental, en évitant de se mettre à dos Israël et ses extensions tentaculaires aux États-Unis, comme l’AIPAC, n’est pas une si mauvaise idée.

De même, étant un adepte du compromis, Trump place toujours la barre très haut, quitte à paraître radical, mais pour mieux négocier par la suite, créant ainsi une vaste marge de compromis possible. En psychologie, on appelle cette stratégie de manipulation «la porte-au-nez» ou «la porte dans la face». Il s’agit tout simplement de commencer par formuler une demande exigeante et très coûteuse, afin de mieux amener son interlocuteur là où on le veut réellement.

Simple exemple: si un État veut instaurer un couvre-feu à 21h00 et qu’il l’annonce directement, il sera confronté à un mécontentement important de la population. Par contre, s’il commence par annoncer un couvre-feu à 18h00, pour rétropédaler après en le repoussant à 21h00, les gens seront plus enclins à l’accepter, et pourront même y voir une mesure clémente. Tout est psychologie en politique.

Dans cette perspective, pour connaître le véritable objectif de Trump pour la bande de Gaza, il faudra encore attendre quelques mois. Et il n’est pas exclu qu’il ne soit aucunement question d’un quelconque déplacement de la population locale, mais de faire de Gaza une sorte de protectorat américain, avec un éventuel déploiement de contingents militaires américains sur le terrain, afin de garantir à Israël qu’aucune menace ne proviendra de la bande de ce territoire, et dans le sens opposé, d’ôter à Israël tout prétexte ou possibilité de bombarder à nouveau ce territoire martyrisé.

Peut-on parler dans le cas d’espèce d’un «humanisme réaliste»? Je n’irai pas jusque là, mais ça y ressemble fortement.

Par Rachid Achachi
Le 06/02/2025 à 11h00

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