Cisjordanie: harcelés par les colons, les habitants d’al-Hathrura fuient leur village

Un jeune Palestinien porte une bouteille de gaz dans le village de Khalet al-Daba'a, près de Yatta, dans le sud de la Cisjordanie occupée, après que les machines de l'armée israélienne ont démoli les structures et les zones d'habitation sur le site, le 13 février 2025

Un jeune Palestinien porte une bouteille de gaz dans le village de Khalet al-Daba'a, près de Yatta, dans le sud de la Cisjordanie occupée, après que les machines de l'armée israélienne ont démoli les structures et les zones d'habitation sur le site, le 13 février 2025. AFP or licensors

Ahmed Kaabneh s’était juré de rester sur ses terres, envers et contre tout. Mais lorsque de jeunes colons israéliens se sont installés à une centaine de mètres de chez lui, ce Bédouin de Cisjordanie n’a pas eu d’autre choix que de partir.

Le 05/12/2025 à 07h24

Dans le centre de la Cisjordanie occupée, de nombreux membres de la communauté bédouine d’al-Hathrura ont déjà fui, poussés par le harcèlement incessant de colons juifs. Aujourd’hui, le petit village de maisons en bois et en métal est entièrement déserté.

«C’est très difficile de quitter un endroit où vous avez vécu pendant 45 ans, quasiment toute une vie», confie M. Kaabneh, désormais installé avec sa famille dans une maison de fortune au milieu des collines rocailleuses de Jéricho. «Mais que faire? Ils sont forts et nous sommes faibles, nous n’avons aucun pouvoir.»

Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967. Hormis Jérusalem-Est, occupée et annexée par Israël, plus de 500.000 Israéliens vivent aujourd’hui dans des colonies considérées comme illégales par l’ONU, au regard du droit international, au milieu d’environ trois millions de Palestiniens.

Depuis l’attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, la violence de certains colons — notamment ceux établis dans des «avant-postes» illégaux selon la loi israélienne — s’est intensifiée, et les attaques contre les communautés locales se multiplient.

Quelque 3.200 Palestiniens issus de communautés bédouines ont été contraints de quitter leurs maisons depuis octobre 2023, selon le Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU (Ocha). Octobre 2025 a été le mois le plus violent depuis que les Nations unies ont commencé à recenser les violences des colons en 2006.

Les agresseurs ne sont quasiment jamais traduits en justice, relèvent les ONG qui documentent les incidents. En novembre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a dénoncé les agissements d’une «poignée d’extrémistes qui ne représentent pas les colons en Judée-Samarie (Cisjordanie)».

«Terrifiant»

Ahmed Kaabneh, quatre de ses frères et leurs familles vivent désormais à treize kilomètres de leur village, dans des constructions métalliques qu’ils ont montées eux-mêmes.«Nous sommes dans un endroit où nous n’avons jamais vécu, c’est difficile», soupire-t-il.

Quelques semaines avant leur départ forcé, l’AFP avait visité le hameau. Deux colons surveillaient la zone depuis une colline dominant la route poussiéreuse menant aux habitations bédouines.

Des caravanes et un drapeau israélien marquent l’emplacement du nouvel avant-poste, comme plusieurs autres récemment installés dans la région, où les villages alentours sont désormais abandonnés.

«C’est une situation terrifiante», racontait alors M. Kaabneh, décrivant un harcèlement quotidien et un grignotage constant du territoire. «Ils crient toute la nuit, jettent des pierres… Ils nous empêchent de dormir la nuit et de circuler librement le jour.»

«Une terre sans lois»

Moins de trois semaines plus tard, seuls des activistes d’ONG et un vieux chat se faufilent entre les vestiges du village déserté. Des vélos d’enfants, des chaussures et des effets personnels témoignent d’un départ précipité.

«Nous sommes ici pour garder un œil sur les propriétés, parce que de nombreux endroits abandonnés sont souvent pillés par des colons», explique Sahar Kan-Tor, militant de l’organisation israélo-palestinienne Standing Together.

À quelques mètres de là, des colons installent un canapé et une table à l’endroit où leur cabane d’avant-poste avait été dressée. «Ils profitent du chaos», accuse M. Kan-Tor.

«Dans un sens, c’est une terre sans lois. Il y a bien des autorités dans la zone, mais aucune règle n’est jamais, ou très rarement, appliquée.»

Les colons agissent «avec l’appui du gouvernement israélien et de l’armée», dénoncent les ONG israéliennes Peace Now et Kerem Navot. Certains ministres du gouvernement sont eux-mêmes des colons, comme le ministre des Finances d’extrême droite Bezalel Smotrich, partisan déclaré de l’annexion de la Cisjordanie.

La colonisation s’est poursuivie sous tous les gouvernements israéliens, de gauche comme de droite, depuis 1967, et s’est fortement accélérée sous l’actuel exécutif, en particulier depuis le début de la guerre à Gaza, déclenchée le 7 octobre 2023 après l’attaque du Hamas.

Dans sa nouvelle habitation, à l’est d’al-Hathrura, Ahmed Kaabneh ne se sent toujours pas en sécurité. Des colons se sont déjà aventurés près de sa maison et surveillent sa communauté depuis une colline. «Ils nous poursuivent partout», lâche-t-il.

Par Le360 (avec AFP)
Le 05/12/2025 à 07h24