Israël a fait de la cybersécurité une question nationale. Secteur privé, gouvernement, université... tous sont unis pour combattre les cybermenaces. La clé? L’éducation et la recherche. Le pays a su créer un véritable écosystème, avec une armée de start-ups en première ligne. Et pour orchestrer le tout, l’Israel National Cyber Directorate veille au grain.
Une «cybernation»
Israël s’est rapidement et positionné comme une «cybernation» dominante à l’échelle mondiale. Des noms comme Check Point, Verint et Argus sont devenus les porte-drapeaux de la technologie israélienne de pointe. Parallèlement, un grand nombre de start-ups se démarquent en tant que «cyber-licornes» ou «cyber-camels».
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Ces succès se juxtaposent à un contexte plus large. En à peine deux décennies, Israël a construit une véritable citadelle du cyberespace, se faisant une place de choix sur la scène mondiale de la cybersécurité. De la création de systèmes de défense de pointe aux protocoles de sécurité hautement spécialisés, l’État hébreu fait preuve d’une capacité d’innovation constante. Alors, comment ce pays de 9 millions d’habitants a-t-il réussi à se hisser parmi les géants de la cybersécurité mondiale?
Loin de l’image stéréotypée de quelques nerds isolés dans un sous-sol, la cybersécurité en Israël est une affaire nationale, tient à préciser Isaac Ben Israel, directeur du Blavatnik Interdisciplinary Cyber Research, rencontré en marge de la Cyberweek à l’Université de Tel Aviv. «Un front uni a été formé par le secteur privé, le gouvernement et les universités, tous mobilisés pour combattre les cybermenaces. Au cœur de cette stratégie se trouve une emphase forte sur l’éducation et la recherche. Un écosystème fertile a été créé, peuplé d’une multitude de start-ups innovantes», explique-t-il.
2010, un tournant décisif
C’est en 2010 qu’Israël, déjà pionnier dans le domaine des hautes technologies, a pris une décision cruciale: sortir du placard les questions de cybersécurité et éduquer sa population à cet égard. Isaac Ben Israel souligne: «Jusque-là, les mots cybersécurité et cyberattaques étaient globalement associés à un secret extrême et à peu d’informations publiques car ils étaient considérés comme l’œuvre des services secrets. Treize ans plus tard, la scène en Israël a radicalement changé. La cybersécurité est désormais l’un des principaux piliers de l’écosystème high-tech du pays avec un pourcentage important de jeunes familiarisés avec les nouvelles technologies.»
Notre interlocuteur rappelle ainsi qu’en janvier 2010, l’Agence Internationale de l’énergie atomique a constaté une défaillance inexpliquée dans les centrifugeuses de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz. Le «coupable», découvert plus tard, n’était qu’un logiciel malveillant connu sous le nom de Stuxnet. Cette cyberattaque, la première à causer des dégâts physiques importants sur les équipements industriels, a fait sensation. «En 2010, les médias ont commencé à parler de cette attaque sur les centrifugeuses iraniennes, car c’est une bonne histoire, une histoire bouleversante sans explosifs», note Isaac Ben Israel. Le monde entier a alors commencé à prêter attention à la cybersécurité.
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L’une des clés de la réussite d’Israël en matière de cybersécurité a été l’investissement massif dans l’éducation et la recherche. L’État hébreu a également intégré l’enseignement de la cybersécurité dans ses programmes scolaires dès le secondaire, une première mondiale selon Isaac Ben Israel.
Une nouvelle stratégie de sécurité nationale
L’évolution des menaces dans le cyberespace a nécessité une révision des stratégies de sécurité nationale. C’est pourquoi Israël a mis en place l’Israel National Cyber Directorate (INCD), qui coordonne tous les efforts de cybersécurité du pays. Cela inclut des entités gouvernementales, le secteur privé, ainsi que le secteur académique.
L’État hébreu a également encouragé le développement de l’industrie de la cybersécurité. «Aujourd’hui, le pays compte des centaines de start-ups spécialisées dans ce domaine. Beaucoup de ces entreprises sont issues du secteur militaire, où les experts en cybersécurité acquièrent une expérience précieuse qui est ensuite transférée dans le secteur privé», fait remarquer le directeur du Blavatnik Interdisciplinary Cyber Research.
Et d’ajouter: «Les cyberattaques sont devenues un problème global et nécessitent une coopération internationale. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et Israël a beaucoup à partager en termes d’expériences et de connaissances.»
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Revenant également sur les clés de succès du modèle israélien, le numéro 1 du Shin Bet (Agence de sécurité d’Israël), Ronen Bar, signale, pour sa part, que le concept de cybersécurité de ce pays est basé sur des couches de dissuasion, d’alerte et de victoires décisives. A ces éléments s’est récemment ajoutée la couche de défense. Et «de nos jours, nous devons ajouter un nouvel élément: celui d’influence», estime-t-il.
«Il est clair que le web offre aux États et aux organisations terroristes un espace idéal pour inciter, extraire des données sensibles, communiquer et agir. Reconnaissant cette menace, Israël a cherché à identifier ces tendances à un stade précoce. Nous essayons d’être profondément présents sur le net et de voir clairement ce qui se passe -espionnage, terrorisme, incitation et influence étrangère», explique Ronen Bar.
De multiples niveaux de protection
Pour lui, «l’infrastructure cybernétique devrait être protégée par trois couches». La première couche est locale: une machine qui localise, enquête et bloque les anomalies entrant en Israël, une sorte de cyber-dôme, basé sur des capacités d’intelligence artificielle avancées. La seconde est internationale, sous forme d’une alliance, incluant des États partageant les mêmes idées, une sorte d’Interpol cybernétique. La troisième couche est celle du G2B (Gouvernement à Entreprise), un cadre dans lequel les entreprises privées partagent leurs métadonnées avec le cyber-dôme et, en retour, reçoivent des réductions sur les primes d’assurance rançon.
Selon Ronen Bar, le cyber-dôme que développe Israël a déjà fait ses premiers pas, avec l’émergence de nouvelles alliances. Les Accords d’Abraham, ainsi que les plus anciens accords de paix au Moyen-Orient, pourraient constituer une bonne base pour un pacte de défense cybernétique régional. «Nous invitons tous les pays qui se voient comme faisant partie du bloc modéré mondial à se joindre à cette initiative de défense cybernétique.»
Miser sur les futures générations
Un autre facteur expliquant le succès israélien, et non pas des moindres, est l’importance accordée au facteur humain. Selon son directeur général, Gaby Portnoy, l’Israel National Cyber Directorate s’efforce d’avancer la prochaine génération, «celle qui mènera le domaine des systèmes cybernétiques, orientera l’industrie cybernétique israélienne et l’exploitera à la fois sur les scènes locale et internationale». Cela se fait en avançant des programmes de formation et des projets éducatifs qui intègrent la jeunesse israélienne dans les domaines de la cybersécurité et de la sécurité de l’information.
Ces programmes spéciaux contribuent à élargir le capital humain dans le cyberespace au-delà des limites généralement acceptées. Gaby Portnoy décrit plusieurs initiatives clés qui illustrent cette approche. Citant Mamriot (Rising Up), le numéro 1 de l’INCD explique qu’il s’agit d’un programme lancé en 2018 qui cible les lycéennes, en les aidant à se qualifier pour servir dans les principales agences de défense cybernétique d’Israël.
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Quant à «Magshimim AI», Gaby Portnoy explique qu’il s’agit d’un programme complet d’IA, de données et d’informatique pour les lycéens talentueux des périphéries. Il vise à doter ses participants des connaissances et des compétences nécessaires pour servir dans des positions clés dans les unités de l’IDF (Israel’s Defense Force) qui se concentrent sur ces domaines technologiques.
Pour Gaby Portnoy, chacune de ces initiatives constitue un élément essentiel de l’approche israélienne de la cybersécurité, un facteur déterminant qui a aidé le pays à s’imposer comme une véritable «cyberpuissance».
Le succès d’Israël ne tient donc pas seulement à la technologie. Le pays a compris qu’une défense efficace nécessite aussi des compétences humaines solides. En misant sur l’éducation de sa jeunesse, en créant des programmes innovants pour les formateurs de demain, Israël a posé les fondations d’une «cyberpuissance». Le futur de la cybersécurité se joue déjà là-bas, entre les mains de ces nouvelles générations prêtes à relever les défis de demain.