En Algérie, le budget annuel d’équipement militaire est décidément une «ligne rouge». Même en cette période de pandémie de Covid-19, et donc de vaches maigres, l’armée algérienne refuse le moindre sacrifice financier pour aider son pays à se sortir de la profonde crise multidimensionnelle (économique, politique, sociale…) dans laquelle il est actuellement empêtré. Que le citoyen algérien manque d’eau potable, d’huile de table… ou de semoule pour pétrir son pain quotidien, les généraux algériens n’en ont cure.
D’ailleurs, et alors qu’il s’évertuait depuis des décennies à amadouer les citoyens à travers des subventions à tour de bras, pour acheter ainsi la paix sociale, le régime algérien vient de décider que ces subventions n’auront bientôt plus de raison d’être. Et cela dans un climat de restrictions drastiques des libertés, comme l’interdiction totale de manifester à Alger imposée aux manifestants du Hirak, dont des centaines de militants sont actuellement en prison.
C’est dans ce contexte de diète généralisée imposée au pays, que le général Said Chengriha, chef d’état-major de l’armée, s’est montré méprisant à l’égard des Algériens, qui souffrent des affres des privations en matière de besoins les plus élémentaires.
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Il a ainsi signé un nouveau gros contrat d’armement, que rien ne justifie, avec la Russie, lors de sa récente visite à Moscou entre les 21 et 24 juin dernier, rapporte dans son édition du 1er juillet, le journal en ligne Africa Intelligence. Montant de la transaction: quelque 7 milliards de dollars. Ce deal porte sur l’acquisition d’un second escadron d’avions bombardiers de type Mig-29 M2, des missiles anti-aériens S-300 VM et S-400 «Triumph», en plus de deux nouveaux sous-marins «Kilo», qui viendront s’ajouter aux six autres déjà réceptionnés par la marine algérienne.
Le plus surprenant, c’est que ces commandes étaient gelées depuis 2016, après avoir été «projetées» sous l’ère du général Gaïd Salah-Abdelaziz Bouteflika, avant que Chengriha ne choisisse cette période particulièrement difficile que traverse l’Algérie pour les réactiver.
Mais ce choix a été apparemment «justifié» par les dernières maladresses du président Abdelmadjid Tebboune sur la Libye. Pour faire barrage à la colère du puissant allié russe, dont les «mercenaires» du groupe russe Wagner, soutenant le maréchal Khalifa Haftar, ont été visés par les propos guerriers de Tebboune sur la chaîne d’Al Jazeera, Chengriha a d’abord reçu le général Sergueï Choïgou, ministre russe de la Défense, à Alger le 17 juin dernier, avant d’aller le rencontrer à nouveau à Moscou une semaine plus tard.
Lors de son passage à Alger, accompagné du chef de l’agence Rosoboronexport, exportateur russe d’armement, le ministre russe de la Défense a zappé le président algérien, qui est pourtant son «homologue» puisque Tebboune est aussi ministre de la Défense et chef suprême des armées.
Cet épisode explique aussi que lors de sa plus récente sortie médiatique, le général Chengriha, fort de son nouveau contrat d’armement, a bombé le torse face aux Algériens en menaçant les prétendus ennemis de l’Algérie, sans en citer un seul.
Ainsi, mardi 29 juin et lors d’une mission d’inspection à la 4e région militaire à Ourghla et Djanet (près de la frontière libyenne), Said Chengriha a affirmé que «partant de sa position de pays-pivot dans la région, l’Algérie a, de tout temps, œuvré à soutenir toutes les initiatives internationales, visant à restaurer la sécurité et la stabilité dans les pays du voisinage. En outre, l’Algérie n’acceptera jamais de menace, quelle que soit la partie qui la profère ni se soumettra à quiconque, quelle que soit sa puissance».
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Si l’allusion aux milices de Haftar, qui viennent de fermer la frontière algéro-libyenne, a été sciemment voilée, celle relative au refus de soumission à une quelconque «puissance» reste floue, même si certains observateurs l’ont interprétée comme une référence aux récentes manœuvres militaires américano-marocaines, et l’impossibilité pour Chengriha de citer nommément les USA. Ces manœuvres semblent avoir tétanisées la junte militaire, au pouvoir en Algérie, qui a vite fait fuiter dans la presse aux ordres qu’elles visaient à anéantir les systèmes de défense antiaérien et antimissile mobiles, S300 et peut-être même S400 (Triumph), acquis chez les Russes.Pour d’autres, cette «puissance» serait la France. En effet, avec cette nouvelle grosse commande d’armement, Chengriha entend positionner l’Algérie comme une puissance régionale incontournable, et ce, dans le cadre des préparatifs du déploiement au Sahel de certaines unités de son armée, tout en cachant qu’elles seront sous le parapluie français.
Même si en février dernier, le ministère algérien de la Défense a démenti toute participation à la future opération «Tabuka», annoncée par le président français Emmanuel Macron, et composée de militaires de pays du Sahel, de la France, d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb, l’Algérie n’attend en fait que le vote de son nouveau Parlement, élu le 12 juin dernier, pour mettre en œuvre sa nouvelle doctrine militaire.
Or cette doctrine militaire est déjà vouée à l’échec, du moins dans les pays africains du voisinage. Car dans ces contrées, l’armée algérienne a très mauvaise presse et son image y est très écornée. Elle est surtout connue pour son racisme et ses exactions inhumaines à l’égard des immigrés subsahariens. Ce qui veut dire qu’elle ne peut être acceptée, au Mali surtout, comme force de stabilisation et de maintien de la paix. Pour rappel, les représentations diplomatiques de l’Algérie au Sahel sont souvent prises à partie par des foules en colère, fustigeant les déclarations haineuses de certains dirigeants algériens à l’égard des immigrés subsahariens.
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Il reste maintenant à savoir comment l’armée algérienne va trouver 7 milliards de dollars dans un pays dont la dévaluation de la monnaie locale et le recours chronique à la planche à billets ont créé une inflation telle que les produits de première nécessité sont devenus un luxe pour les Algériens. Il reste aussi à savoir comment une population qui a soif, littéralement parce que l’eau potable est rationnée au compte-gouttes 6 heures par jour dans plusieurs grandes villes, y compris Alger, va réagir au choix de la junte: les armes d’abord, l’eau et le pain peuvent attendre.