Depuis le 7 octobre, la guerre qui oppose Israël au Hamas est devenue le sujet de conversation principal. Enfin non, conversation n’est pas le mot adéquat, disons plutôt de conflit, car toute discussion ou débat a cessé depuis.
Le conflit sur le terrain s’est emparé de la rue, des réseaux sociaux, des médias, des tribunes politiques et médiatiques, mais a aussi fait son entrée au travail, dans les maisons, les cercles d’amis et les familles… Aujourd’hui, faut-il croire, nous en sommes visiblement arrivés au point de devoir choisir nos amitiés et nos relations en fonction de la cause soutenue par les uns et les autres.
Il y a les pro-Palestiniens, qu’ils soutiennent ou pas le Hamas, et il y a les pro-Israéliens, qu’ils soutiennent ou pas Netanyahu, et dans les deux cas de figure, il y a cette volonté d’afficher ses convictions, de revendiquer, de faire entendre sa voix, car, espère-t-on, chaque voix compte dans cette quête de visibilité qui permettra peut-être de changer le cours des choses.
Mais entre ces deux extrêmes que tout oppose aujourd’hui, qui ne communiquent plus que par insultes et menaces et se livrent à une surenchère d’informations sanglantes, à des comparaisons de chiffres morbides et de détails macabres pour mieux évaluer lequel est plus victime que l’autre, il y a ceux qui ne souhaitent pas afficher leur couleur, ceux qui ne veulent pas choisir et dénoncent une dictature de la pensée. À ceux-là, on reproche leur silence, leur ambiguïté, car l’horreur doit être condamnée et aujourd’hui plus que jamais, l’usage que l’on fait des mots occupe une place cruciale. «Résistance» ou «terrorisme»? «Légitime défense» ou «génocide»? «Ayant été tués» ou «ayant trouvé la mort»? Le conflit se niche aussi dans la sémantique.
Refuser de s’exprimer sur le sujet, éluder la question, ne pas vouloir choisir est considéré dans notre monde manichéen comme un acte de lâcheté et de haute trahison. Sur la Toile marocaine, on se voit ainsi sommé par des milliers de voix inconnues de soutenir la cause palestinienne, car, peut-on lire aujourd’hui sur ces réseaux qui n’ont vraiment rien de sociaux, «nous sommes musulmans avant d’être Marocains».
Dans cet océan de violence, cette remarque nous apporte un peu de joie, car à l’heure où certains tentent de faire de ce conflit une guerre de religion entre juifs et musulmans qui n’a pas lieu d’être, et n’a aucunement sa place dans un pays comme le Maroc, dont l’identité est composée notamment d’un affluent hébraïque, on aime cette idée que les Marocains, musulmans, ne font pas de distinctions entre Palestiniens qu’ils soient musulmans ou chrétiens. Enfin, espère-t-on que cette remarque implique que cet humanisme sans nationalité est aveugle aux différences de confessions...
D’ailleurs, clament ces mêmes voix, notre devise n’est-elle pas «Dieu, la patrie, le roi», en soulignant l’importance de la hiérarchie de ces valeurs?
Ce conflit implique un tel déchaînement d’émotions et de passions que la politique et les intérêts de la nation se trouvent être relégués au second plan, derrière une cause bien plus grande, celle de l’humain, et vraisemblablement aussi, celle de la religion. C’est quelque chose qui est propre au conflit israélo-palestinien, bien plus clivant que la guerre russo-ukrainienne.
Ainsi, de nombreux Marocains souhaitent que le Maroc, bien qu’il soutienne ouvertement la cause palestinienne, prenne une décision ferme dans ce conflit en rompant ses liens avec Israël. Pas de neutralité, pas de médiation, pas de tentative de rétablir la paix… Rien de tout cela. On exige du Maroc de choisir un camp… précisément dans ce conflit en particulier. Car souvenons-nous tout de même qu’on applaudissait récemment sa neutralité dans le conflit opposant la Russie à l’Ukraine qui a fait à ce jour, selon de récentes sources américaines, plus de 500.000 morts.
On n’attend pas non plus du Maroc de rompre ses relations avec la Chine, accusée de perpétrer un génocide des Ouïgours, et l’Inde, où sont menées des chasses à l’homme contre les musulmans. Même ces pays «frères» qui nous côtoient et nous reprochent notre relation avec Israël, en se vantant d’être plus proches que nous de la cause palestinienne, ne s’offusquent pas non plus du sort de ces musulmans du bout du monde, dont le seul tort peut-être est de ne pas être arabes. La cause palestinienne est une cause devenue quasi sacrée, incarnée par la voix de la rue, et à ce titre, elle ne manque pas d’être instrumentalisée par les politiques, notamment pour déstabiliser un pays ennemi en opposant son peuple à sa politique.
Plutôt que d’être critiquée, la position du Maroc de maintenir le dialogue avec les deux parties, tout en condamnant les actes perpétrés par les deux camps, devrait être saluée, car il n’y a rien de plus louable que de vouloir prôner la paix.