France: des dizaines de mesures de la loi immigration sur la sellette

Le siège du Conseil constitutionnel français, à Paris.

Durcissement de l’accès aux prestations sociales et au regroupement familial, remise en cause du droit du sol ou encore quotas migratoires, des dizaines de mesures de la loi immigration pourraient être retoquées par le Conseil constitutionnel français, selon des juristes et des parlementaires.

Le 23/01/2024 à 08h39

Des dizaines de mesures de la loi immigration, adopté le 19 décembre par l’Assemblée nationale française, pourraient être retoquées par le Conseil constitutionnel, qui donnera sa décision sur le texte dans la matinée du jeudi, avant sa publication dans l’après-midi.

Il y en aurait une «trentaine» selon le député macroniste Sacha Houlié, président de la Commission des Lois, qui a voté contre la version finale du texte à l’Assemblée, comme 26 autres membres du camp présidentiel. Les parlementaires de gauche en ont eux identifié plus d’une quarantaine.

Le Conseil constitutionnel a reçu quatre saisines. La première est celle du président de la République qui lui a demandé de vérifier que les dispositions de la loi «respectent les droits et libertés que la Constitution garantit», sans citer de mesure en particulier dans son courrier officiel.

Une autre saisine émane de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, qui cible spécifiquement quatre dispositions. Et les deux autres de députés et sénateurs de gauche qui en contestent plusieurs dizaines, suggérant au Conseil de censurer «au besoin l’ensemble de la loi déférée».

Au total, une cinquantaine d’articles sont contestés. Soit parce qu’ils seraient des «cavaliers législatifs», c’est-à-dire des ajouts sans lien suffisant avec la copie initiale du gouvernement. Soit parce qu’ils bafoueraient sur le fond les principes et valeurs constitutionnels.

Les mesures ciblées

La plupart des dispositions sont ciblées en tant que «cavaliers». Dans ses saisines, la gauche en dresse une longue liste, incluant le durcissement des conditions du regroupement familial (avec une durée de résidence requise passant de 18 à 24 mois) ou encore l’instauration d’une «caution retour» pour les étudiants étrangers.

Est aussi ciblée la durée de résidence exigée pour que des non-Européens en situation régulière puissent bénéficier de certaines prestations sociales. Pour les allocations familiales elle a été fixée à 5 ans pour ceux ne travaillant pas et 30 mois pour les autres. Pour l’Aide personnalisée au logement (APL), ces deux seuils ont été fixés à 5 ans et 3 mois. La gauche considère que ces mesures sont par ailleurs aussi contraires sur le fond à la Constitution.

La gauche met également en doute la constitutionnalité des quotas migratoires, chers à la droite, que fixerait le Parlement pour plafonner le nombre d’étrangers admis sur le territoire.

Figurent aussi pèle-mêle parmi les mesures sur la sellette: la fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France, l’exclusion des conjoints de moins de 21 ans du regroupement familial, la restriction de l’accès au titre de séjour «étranger malade» ou encore l’exclusion des réductions tarifaires dans les transports pour les étrangers en situation irrégulière.

Outre ces dispositions ajoutées au Parlement, «dans le projet de loi initial, il y a aussi des dispositions contraires à la Constitution, notamment sur l’asile. Le jugement par juge unique à la Cour nationale du droit d’asile par exemple», fait valoir le professeur de droit public Serge Slama. «D’autres aspects sur le contentieux judiciaire ou sur la rétention sont problématiques», estime l’universitaire qui a coordonné l’envoi de «contributions extérieures» au Conseil.

«Réserves d’interprétation»

Si les Sages estiment qu’une mesure est un «cavalier», rien n’empêche qu’elle soit proposée par le biais d’un autre texte législatif, contrairement aux mesures qui seraient retoquées sur le fond. Cette deuxième catégorie de censure nourrirait ainsi les appels de la droite à une révision de la Constitution.

«Pour punir le gouvernement de s’être défaussé sur le Conseil constitutionnel sur ce texte, les Sages pourraient choisir de ne pas censurer certaines mesures controversées mais d’y ajouter des réserves d’interprétation», suggère la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina. «Cela deviendrait un véritable casse-tête pour les ministres qui auront à appliquer la loi», relève-t- elle.

Par Le360 (avec AFP)
Le 23/01/2024 à 08h39