C’est l’un des volets les plus controversés du projet de loi sur l’immigration: le durcissement de l’accès aux prestations sociales pourrait toucher plus de 110.000 étrangers, qui risquent de basculer dans la grande pauvreté, selon une étude publiée ce vendredi sur ces mesures dites de «préférence nationale».
Cette salve d’articles, dont la philosophie est traditionnellement portée par l’extrême droite, doit encore passer le couperet du Conseil constitutionnel, qui se prononcera le 25 janvier, un mois après l’adoption du texte avec les voix de LR et du Rassemblement national (RN).
L’étude publiée par «Nos services publics», un collectif militant d’agents de l’État français, se fonde sur une contribution transmise aux Sages par plusieurs économistes spécialisés dans la protection sociale, dont Antoine Math, affilié au Gisti (groupe d’information et de soutien des immigrés), ou encore les universitaires Elvire Guillaud et Michaël Zemmour, économistes au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po.
Dans leur note, les économistes mesurent l’impact d’un volet qui ne figurait pas dans le texte initial du gouvernement, mais qui a été introduit durant le bras de fer parlementaire qui a provoqué le départ de l’ex-ministre de la Santé Aurélien Rousseau du précédent gouvernement: le conditionnement de la quasi-totalité des prestations sociales (allocations familiales, allocation personnalisée d’autonomie...), pour les étrangers non-Européens, à une durée de présence sur le territoire d’au moins 5 ans ou d’une durée d’activité professionnelle minimale.
Selon leurs calculs, «le nombre de personnes qui se verraient privées de leurs droits sociaux, à cotisations égales et sur le seul motif de leur lieu de naissance ou de la nationalité de leurs parents est estimé à au moins 110.000, dont 30.000 enfants».
Une question morale
«Souvent déjà dans des situations précaires, ces personnes et ces familles seront nombreuses à basculer dans la pauvreté, voire la très grande pauvreté, cette dernière situation devant concerner plus de la moitié des enfants touchés par la préférence nationale», selon l’étude.
L’estimation, fondée notamment sur l’enquête revenus fiscaux et sociaux de l’Insee, est une fourchette «basse», calculée sur l’hypothèse d’un ménage dont les deux conjoints sont étrangers, explique à l’AFP Arnaud Bontemps, un porte-parole du collectif. Dans l’«hypothèse maximale», intégrant des familles monoparentales ou des couples dont l’un des conjoints serait Français, 700.000 personnes pourraient être concernées.
Pour Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes, il est «presque sûr» que les Sages «vont enterrer» ces mesures qui introduisent une discrimination «contraire à la Constitution». «On va attendre d’abord» la décision du Conseil constitutionnel qu’il a lui-même saisi, a pour sa part temporisé mardi le président français Emmanuel Macron, interrogé sur ces restrictions de droits sociaux.
Au-delà du bilan comptable, de nombreuses associations, ONG, syndicats et une partie de la gauche dénoncent depuis l’adoption du texte une bascule «morale» du gouvernement, accusé d’avaliser avec cette loi les thèses de l’extrême droite.
Sans attendre l’avis des Sages, une nouvelle manifestation composite, à l’appel cette fois de plus de 200 personnalités, artistes et autres responsables syndicaux doit se tenir le dimanche 21 janvier. Dans le viseur des signataires: une loi «rédigée sous la dictée des marchands de haine qui rêvent d’imposer à la France leur projet de “préférence nationale”».