Promis sur un ton martial depuis l’été par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, ce texte intitulé « Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » a subi tout à la fois les atermoiements sur son contenu, l’intransigeance des oppositions, à commencer par celle des Républicains (LR, droite), et les secousses sociales de la réforme des retraites.
Juste avant son examen prévu fin mars au Sénat, le président Emmanuel Macron avait lui- même annoncé son report à la télévision et assuré que le projet serait découpé en plusieurs textes, avant de revenir sur ces propos dimanche, plaidant pour une grande loi en «un seul texte», «efficace et juste».
Trois jours plus tard, c’est la Première ministre Elisabeth Borne qui a semblé donner mercredi le coup de grâce à la loi, en dévoilant sa feuille de route pour les semaines à venir. «Aujourd’hui, il n’existe pas de majorité pour voter un tel texte, comme j’ai pu le vérifier hier (mardi) en m’entretenant avec les responsables des Républicains», a-t-elle déclaré, en expliquant que le projet ne serait finalement pas présenté dans l’immédiat.
Les Républicains, qui ont la majorité au Sénat, sont incontournables à l’Assemblée nationale où le gouvernement de Mme Borne ne dispose pas de la majorité absolue.
Ne pas «diviser le pays»
Or, les Républicains ne cessent de faire monter les enchères depuis des mois sur le sujet de l’immigration. Mercredi encore, leur président Éric Ciotti a appelé à un référendum sur le sujet avant de décider que les Républicains déposeraient leur propre texte au Parlement.
Alors que le gouvernement promet l’équilibre entre expulsions des étrangers qui menacent l’ordre public et meilleure intégration des sans-papiers, notamment par la régularisation des travailleurs dans les secteurs en «tension», les propositions de la droite sont radicales: «Plus aucun droit pour les clandestins, plus de prestations sociales dès le premier jour pour les réguliers», ou encore traiter «les demandes d’asile à la frontière», selon les termes d’Éric Ciotti.
«Est-ce que monsieur Macron est prêt à inscrire tout cela dans la loi ? J’en doute, et je doute aussi qu’on ait la capacité au Parlement à faire adopter un texte compte tenu même des oppositions dans la majorité», a résumé le patron des Républicains.
C’est ce qu’a acté Elisabeth Borne mercredi, même si elle a assuré que «la lutte contre l’immigration illégale (était) une priorité du gouvernement». «Ça n’est pas le moment de lancer un débat sur un sujet qui pourrait diviser le pays», a-t-elle ajouté. Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a de son côté réfuté mercredi tout «aveu d’impuissance» de l’exécutif après ce nouveau report.
Vers l’automne
«Manifestement, il y a eu bataille interne (au gouvernement) qu’Elisabeth Borne a remporté temporairement face à Gérald Darmanin», qui plaidait encore mi-avril pour un «texte fort» contre l’immigration clandestine dans les prochaines semaines, a réagi auprès de l’AFP Pierre Henry, président de l’association France fraternité.
«Rouvrir le dossier de l’immigration était une très mauvaise idée, qui n’aurait que continuer à faire monter l’extrême droite, alors que notre pays a besoin d’apaisement», s’est également félicitée la directrice de l’ONG France terre d’asile, Delphine Rouilleault.
«Nous aimerions que ce report donne le temps au gouvernement d’écouter les acteurs de terrain et qu’il revoie sa copie. Renforcer les mesures et les moyens en faveur de l’intégration des étrangers devrait être une priorité, plutôt que d’adopter des mesures restrictives, voire liberticides», a poursuivi la responsable associative, qui avait participé aux concertations avec le gouvernement.
Si les prochains mois ne permettent pas de dégager «d’accord global», «nous présenterons en tout état de cause un texte à l’automne avec comme seule boussole l’efficacité», a déclaré Elisabeth Borne. Mi-avril, devant ses troupes réunies à l’Elysée, M. Macron avait pourtant mis en garde: «Si on ne fait pas immigration et travail» avant le 14 juillet «ça veut dire qu’on ne le fera pas» du tout.