Partout au monde, les politiciens sont de talentueux «marchands de rêves». Qu’ils soient des baratineurs bonimenteurs, des idéalistes naïfs, des pragmatiques ambitieux… Tous ont en commun ce sens inné du marketing politique qui leur permet généralement de fédérer autour d’une idée, d’un espoir… d’un rêve. «I have a dream!», est d’ailleurs le titre du discours politique le plus connu du globe, au point qu’il est protégé par des droits d’auteurs.
Si cette règle s’applique partout, il y a toujours une exception pour la confirmer. Inutile de la chercher loin, elle est juste à côté, près de chez nous, au pays des petits hommes vert-kaki, là où des généraux qui ont décrépi dans leurs uniformes datant de l’ère bolchévique tiennent encore les manettes. Ce sont des briseurs de rêve par excellence.
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Chez nos voisins, il faut croire que même le rêve n’est plus permis. «Les Algériens ont des rêves impossibles», a lancé leur ministre de l’Industrie. Mais de quel rêve inaccessible parle-t-il au juste? Conquérir la planète Mars pour y planter le drapeau algérien et une tente pour de faux réfugiés (mar)sahraouis, ainsi qu’une une antenne de la DGSI? Certainement pas: les Algériens savent que la Sonatrach n’arrive même plus à produire suffisamment de mazout pour continuer faire tourner leur vieille «Lada», alors de là à inventer un combustible permettant la vitesse de distorsion...
Non, le rêve des Algériens auquel fait référence Farhat Aït Ali, est bien plus anodin. Il s’agit juste de l’acquisition d’un véhicule neuf… Wellah, juste se payer une lauto WW, avec si possible des roues d’origine et non pas des pneus rechapés par les oligarques des galonnés. On ne parle pas d’une «Aston Martin» ou d’une «Lamborghini», mais juste d’une «Sandero» ou d’une «208», comme il en sort en centaines, quotidiennement, des chaînes de montage de Kénitra ou de Tanger Med.
Cela peut paraître inconcevable au XXIe siècle, mais depuis quasiment trois ans, plus aucune voiture neuve n’a été importée en Algérie. Il y a eu cependant une parenthèse où l’on pouvait acheter localement un pack moteur-carrosserie à customiser avec les roues de son choix, à condition de monter l’ensemble dans l’usine du général qui tire (za3ma General Tire), porte flambeau de l’industrie automobile algérienne, qui n’existe que dans les rêves de leurs dirigeants.
La gestion calamiteuse des caciques du régime a conduit l’Algérie à une faillite socio-économique qui fait que les conditions élémentaires d’une vie digne relèvent désormais de la chimère. Les Algériens en sont réduits à fantasmer sur une chouwaya de sardines sur leur table; ils espèrent rentrer triomphant avec une brique de lait; et prient, surtout, pour trouver leur médicament en pharmacie.
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A la décharge de l’honorable ministre (que Dieu lui donne la quiétude dans son sommeil), il a vu juste sur un point. «Avoir une voiture est le rêve d’une minorité (…) 300.000 Algériens tout au plus (…) les Algériens ont un grand rêve, celui d'une Algérie debout», lançait-il le 13 février dernier. Il était alors loin de se douter que trois jours plus tard, l’Algérie allait réaliser son rêve et se mettre debout.
Comme tour de chauffe à la commémoration du deuxième anniversaire du Hirak, une manifestation a eu lieu, le 16 février, au berceau de ce mouvement anti-régime, Kherrata (300 km à l’est d’Alger). Dans ce rassemblement, les Algériens ont revendiqué clairement leur rêve commun. «Les généraux à la poubelle», «un Etat civil et non militaire», «Tebboune est factice, il a été placé par les militaires», «démantèlement du système»… scandaient les manifestants dans cette sorte de répétition générale, avant le 22 février. Ce jour promis du Hirak, durant lequel les chibanis, tapis au Club des Pins, à Hydra et au palais El Mouradia, risquent de vivre, éveillés, leur pire cauchemar.