La morale ou la vidéosurveillance? Il faut choisir!

Rachid Achachi.

ChroniqueDernière polémique en date: le projet d’installation à Rabat de plus de 4.000 caméras de surveillance à reconnaissance faciale. Certains parlent d’atteinte à la vie privée ou de virage techno-sécuritaire, d’autres d’une simple mesure préparatoire à l’accueil de la Coupe du monde 2030.

Le 27/03/2025 à 12h02

Chaque matin, en consultant l’actualité au réveil, ma conviction que la polémique serait un sport de combat au Maroc ne fait que se renforcer.

Notons que je dis bien polémique, et non pas débat ou controverse, au sens médiéval du terme. Car là où le débat implique une réflexion profonde en amont, la polémique se contente de surfer sur des émotions, souvent négatives, comme la peur ou l’angoisse, et ce, à travers ce que je qualifierais de «prêt-à-porter intellectuel». Et c’est bien dommage, car des débats sérieux, nous en avons cruellement besoin au Maroc.

Dernière polémique en date: le projet d’installation à Rabat de plus de 4.000 caméras de surveillance à reconnaissance faciale. Les expressions sensationnelles et spectaculaires n’étant pas taxées, certains se permettent déjà de pousser des cris d’orfraie, parlant d’atteinte à la vie privée ou de virage techno-sécuritaire, là où d’autres voient une simple mesure préparatoire à l’accueil de la Coupe du monde 2030. Autrement dit, circulez, il n’y a rien à voir!

Premièrement, comment peut-on parler de vie privée, sachant qu’en l’occurrence, il s’agit exclusivement de l’espace public? Car jusqu’à preuve du contraire, il ne s’agit aucunement d’installer ces caméras dans nos salons ni dans nos salles de bains.

Deuxièmement, pourquoi reprocher à des caméras somme toute innocentes de nous surveiller, alors que des millions de caméras mobiles le font bien avant ce projet? Je parle bien entendu des bergaga, de certains voisins un peu trop curieux, de membres de la famille en quête de commérages, de gardiens de voitures ou d’immeubles qui ne lésinent pas sur les moyens pour surveiller minutieusement vos faits et gestes, allant parfois jusqu’à scruter le contenu de vos poubelles pour en déduire votre régime alimentaire et la présence éventuelle de canettes de bière… La liste est longue et, au Maroc, le panoptique de Bentham n’a nul besoin de la dimension «techno» pour être efficace. La caméra a au moins le mérite d’être impersonnelle et désintéressée.

Troisièmement, et là je m’adresse aux plus bigots d’entre nous, pourquoi vous inquiéter de la surveillance de caméras, là où c’est l’omniprésence et l’omniscience de Dieu qui devrait vous inquiéter?

«S’il faut installer 4.000 caméras pour éviter que des citoyens innocents se fassent agresser, tuer par des automobilistes sans foi ni loi, ou harceler dans le cas des femmes, alors, qu’il en soit ainsi.»

Au fond, ce qui dérange certains d’entre nous, c’est que l’omniprésence de caméras dans nos villes fera que le respect de la loi devienne désormais une obligation. Et là, j’entends quasiment certains dire au fond d’eux: «Zut, désormais, je serais obligé de respecter la loi. Finie la belle époque où le feu rouge était optionnel, où cracher dans la rue était une activité de loisir et pisser sur un mur une performance artistique. Snif.» Et comme dit l’adage marocain: «Ma dirch, ma tkhafch».

Car cette crainte que beaucoup partagent -sans pour autant généraliser- traduit notre faillite morale sur le plan collectif, puisque ni Dieu ni la loi ne suffisent à nous amener à nous comporter en citoyens consciencieux dans l’espace public. C’est ce que j’avais qualifié dans une précédente chronique de «paganisme juridique».

J’avais écrit à ce propos les phrases suivantes: «Le Marocain lambda, et il vous suffit de vous mettre au volant pour le constater, ne respecte la loi que quand elle est incarnée dans la chair du policier. Si le policier n’est pas là, c’est que, quelque part, Dieu n’est pas là non plus, et par conséquent tout est permis. Nous ne croyons dans le fond qu’en une loi incarnée

Par conséquent, tant qu’un éveil moral n’aura pas eu lieu à l’échelle de notre société, tant que la loi ne sera pas somatisée dans sa forme abstraite et tant que notre foi se contentera de sa dimension rituelle, je continuerai à souhaiter non pas 4.000, mais 40.000, voire 400.000 caméras installées dans nos villes, ou même une caméra par citoyen. Car la responsabilité individuelle et la confiance dans la moralité des gens se méritent. En attendant, c’est la célèbre phrase de Lénine, «la confiance n’exclut pas le contrôle», qui est de mise.

Ainsi, s’il faut installer 4.000 caméras pour éviter que des citoyens innocents se fassent sauvagement agresser ou racketter dans nos rues, ou tuer par des automobilistes sans foi ni loi, ou harceler dans le cas des femmes, alors, qu’il en soit ainsi.

Un philosophe a dit: «La morale commence là où s’arrête la police.» Serions-nous un jour à la hauteur de cet idéal? Il revient à nous d’en apporter la preuve.

Par Rachid Achachi
Le 27/03/2025 à 12h02

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