Avant même la mise en ligne de l’application Threads, rivale assumée du réseau à l’oiseau bleu, la tension était déjà montée de plusieurs crans entre les deux entrepreneurs, Elon Musk défiant publiquement, fin juin, Mark Zuckerberg à un match d’arts martiaux mixtes (MMA). D’ordinaire réservé, au point d’apparaître froid, ce dernier avait répondu par l’affirmative.
Contrairement à ses habitudes, Mark Zuckerberg s’est essayé à l’humour pour railler Elon Musk à l’occasion de l’arrivée de Threads, la plateforme qui a atteint les 100 millions d’inscrits en moins de cinq jours. Il a ainsi répondu par un émoji pleurant de rire à une pique du compte officiel de la chaîne de fast-food Wendy’s, qui lui suggérait d’aller dans l’espace «juste pour énerver» celui qui est aussi patron de la société aérospatiale SpaceX.
Zuckerberg a aussi critiqué ouvertement Twitter, coupable, selon lui, de ne pas avoir su maintenir un climat positif sur sa plateforme, ce qu’il promet de s’attacher à faire pour Threads.
Elon Musk a alors fait feu de tout bois, menaçant d’abord Meta d’un procès pour violation de la propriété intellectuelle, rendue possible, selon lui, par l’embauche d’anciens de Twitter, ce que réfute le groupe de Menlo Park (Californie). Il a ensuite envoyé quelques banderilles contre Threads sur Twitter, avant de passer à la vitesse supérieure.
«Zuck is a cuck», a posté le milliardaire, utilisant un mot qui désigne à la fois un cocu et, de façon très péjorative, une personne modérée ou progressiste politiquement. N’ayant pas obtenu de réponse de l’intéressé, il a ensuite proposé «un vrai concours de b....», dans un message imagé à son ennemi du moment, sans que ce dernier ne réagisse publiquement.
«Attitude de gamin»
«C’est clairement unique de voir ces deux individus, qui sont riches à milliards, se lancer dans une joute verbale de ce style», souligne Andrew Selepak, professeur à l’université de Floride. «Mais ça semble un peu déséquilibré», précise-t-il, car Elon Musk «a une attitude de gamin», contrairement à Mark Zuckerberg.
Le décalage entre les deux personnalités semble bénéficier au co-fondateur de Facebook, qui pâtissait, depuis plusieurs années, d’une réputation dégradée. Cette dernière était le résultat du mélange d’un goût supposé immodéré pour le pouvoir, d’un manque présumé d’empathie, d’une communication glaciale et robotique, mais surtout des affaires liées à l’utilisation des données personnelles par Facebook, en premier lieu le scandale Cambridge Analytica, en 2018.
«Ces attaques de Musk n’ont rien fait d’autre que de redorer l’image de Zuckerberg», fait valoir l’analyste Rob Enderle.
En outre, Threads a fait souffler un vent de fraîcheur sur Meta et son patron, au moins autant pour ses différences de gestion avec Twitter que pour ses caractéristiques propres. Le nouveau réseau social bénéficie actuellement d’une période de grâce, dépourvue de controverse, même si elle pourrait ne pas durer. Elle offre ainsi une alternative stable et prévisible aux utilisateurs déçus de Twitter, échaudés par son bouillant propriétaire.
«L’attrait pour le profit, ça, je suis capable de comprendre», décrit l’analyste Carolina Milanesi, «alors que dans le cas de Twitter, on est en présence d’un homme riche centré sur lui-même, qui a des valeurs éthiques abjectes».
Les rivalités entre grands patrons, de la tech et au-delà, ne sont pas nouvelles, pas plus que les coups de sang de certains. Deux des plus grandes personnalités de la nouvelle économie, le co-fondateur d’Apple, Steve Jobs, et celui de Microsoft, Bill Gates, ont ainsi entretenu durant des décennies un rapport mélangeant mépris et admiration.
Le successeur de Bill Gates, Steve Ballmer, lui, «renversait les meubles quand des gens partaient (de Microsoft) pour Google», rappelle Rob Enderle. «Mais ça, c’est du délire», dit-il en référence à Elon Musk et Mark Zuckerberg.