La Russie grignote du terrain, et le moral des Ukrainiens

Des militaires ukrainiens à bord d'un véhicule blindé dans la région de Somy, près de la frontière russe, le 13 août 2024. AFP or licensors

La progression est limitée mais constante. Depuis plusieurs semaines, l’armée russe avance sur plusieurs points du front ukrainien et grignote du territoire, augmentant les doutes sur la capacité de Kiev à renverser la tendance.

Le 30/10/2024 à 07h39

L’armée du président Vladimir Poutine a progressé de 478 km² en territoire ukrainien depuis début octobre, son gain territorial le plus important sur un mois depuis les premières semaines de la guerre, selon une analyse de l’AFP à partir de données de l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW).

«La Russie a été à l’offensive toute l’année», note Meduza, un site d’opposition russe interdit et bloqué en Russie. «Mais la semaine passée a été l’une des plus dures, sinon la plus dure, pour les forces armées ukrainiennes sur la période».

Régularité

Les données chiffrées de l’ISW n’évoquent aucun effondrement militaire de l’Ukraine. Mais «ce qui est plus inquiétant, c’est que c’est une tendance», estime l’ex-colonel français Michel Goya, historien de la guerre.

«On constate une accélération de cette progression, avec le sentiment qu’on ne peut pas l’enrayer», ajoute-t-il, décrivant une «stratégie russe de pression partout, tout le temps, en attendant que cela craque, s’effrite ou s’effondre».

Moscou revendique chaque jour ou presque une victoire. «Aucune localité, prise à part, n’a d’importance extraordinaire, mais au total cela représente un succès important pour l’armée russe», assure Alexandre Khramtchikhine, analyste militaire russe indépendant. «L’avancée russe, même pas très rapide, montre la détérioration croissante (de la situation) de l’Ukraine».

Puissance de feu

Moscou a conservé depuis 2022 la supériorité de son artillerie. Soumise aux sanctions économiques occidentales, elle a transformé son économie en machine de guerre avec l’appui d’alliés engagés, Iran et Corée du Nord en tête.

«L’industrie de guerre russe produit plus d’armements que ce que l’Ukraine reçoit», estime Alexandre Khramtchikhine, et «plus de munitions grâce à son industrie et à la Corée du Nord».

Début 2024, le gel de l’aide américaine par le Congrès a considérablement ralenti l’approvisionnement des Ukrainiens, «alors qu’au même moment 3 millions d’obus nord-coréens arrivaient dans les dépôts russes», rappelle Michel Goya.

Et Moscou a mis au point un système de guidage pour les bombes, qu’il utilise « par milliers », assure-t-il, évoquant aussi les quelque 1.600 missiles balistiques nord-coréens KN-02 tombés sur l’Ukraine.

Nouvelle approche tactique

Plutôt que de conquérir les villes quartier par quartier, l’armée russe joue désormais la carte de l’étouffement. «Le principe, c’est de menacer d’encerclement des poches qui sont obligées de se replier», explique Michel Goya.

«Nous avons refusé de prendre d’assaut les villes et les villages de front, où nous devions ronger chaque mètre carré de rue, chaque maison», convient Alexandre Kots, journaliste de guerre de Komsomolskaya Pravda, quotidien populaire en Russie.

En conséquence « l’ennemi peut être contraint de retirer ses troupes et de le faire en traversant un long couloir ouvert aux tirs ».

Mobilisation ukrainienne fatiguée

Progressivement, la progression russe ronge le moral ukrainien. Kiev souffre pour recruter, d’autant que la désorganisation de son armée et la corruption facilitent désertions et refus d’engagement.

«Vaincre un ennemi, c’est tuer l’espoir chez lui. Quand le sacrifice des gens qui meurent ne vaut rien, cela n’a plus de sens de se battre», note Michel Goya.

«Le gouvernement Zelensky, face à la lassitude de la guerre dans les populations civiles, peine à mobiliser», confirme un responsable militaire français sous couvert de l’anonymat.

Kiev a annoncé mardi une nouvelle mobilisation de 160.000 hommes, notamment face à la crainte d’un déploiement de troupes nord-coréennes, pour regarnir les rangs de l’armée à hauteur de 85%.

Attentisme occidental

Les experts tempèrent la situation en soulignant les très fortes pertes côté russe. Ivan Klyszcz, du Centre international pour la défense et la sécurité (ICDS) en Estonie, souligne qu’au rythme actuel, Moscou «finirait de prendre le reste du Donbass en plusieurs mois, à un coût extrêmement élevé, probablement insoutenable».

En attendant, les Occidentaux temporisent. Le «plan de victoire» de Volodymyr Zelensky, censé le mettre en position de force pour négocier, divise ses alliés. Et la présidentielle américaine apporte son lot d’incertitudes.

«L’Ukraine va bientôt réaliser qu’elle a besoin d’un changement de direction et que compter sur ses partenaires occidentaux deviendra une stratégie contre-productive dans un avenir proche», assure Ivan Klyszcz.

Le déploiement de soldats nord-coréens peut provoquer une sensation d’urgence chez les Occidentaux. Mais «est-ce que cette urgence va se traduire en promesses ou en soutien renforcé? Cela reste à voir».

Par Le360 (avec AFP)
Le 30/10/2024 à 07h39