Le racisme à l’encontre des Arabes, et plus particulièrement des Maghrébins, n’a rien de nouveau dans les médias français et dans les propos sournois des politiques, et l’islamophobie elle aussi gagne du terrain, toujours un peu plus. À chaque acte terroriste perpétré par un désaxé qui revendique son acte abject au nom de l’islam, c’est toute la communauté musulmane qui est mise à l’index.
Aujourd’hui, cette islamophobie se propage à vitesse grand V, alors que des médias de l’Hexagone, en particulier certaines chaînes d’information en continu, «analysent» le conflit Israël-Hamas sous le prisme religieux et ne cessent d’alerter sur une montée de l’antisémitisme en France, qui serait porté par la communauté arabo-musulmane.
Pourquoi ces accusations? Sur quoi se fondent-elles? Sur une histoire, tissée de mensonges, selon laquelle, par essence, les musulmans n’aiment pas les juifs. Ainsi donc, quand on manifeste pour le soutien à la Palestine dans les rues de France, pour peu qu’on ne soit pas un Français de souche d’ascendance «judéo-chrétienne», comme on dit maintenant, on est donc antisémite. Le raccourci est fait et s’impose désormais comme une vérité inébranlable.
Étrangement, plus on dénonce l’antisémitisme grandissant en France, en alertant sur les dangers d’une répétition de l’histoire la plus sombre de l’Europe, plus l’islamophobie, elle, se banalise et s’installe confortablement. Comme si l’un était inextricablement lié à l’autre, comme si l’Holocauste et les pogroms étaient le fait des musulmans…
Mais qu’essaie-t-on de nous faire croire? Quelle est donc cette réécriture de l’Histoire à laquelle on assiste aujourd’hui, bouche bée par tant de malhonnêteté intellectuelle? On feint donc d’oublier qu’aux racines de l’antisémitisme actuel, il y a l’anti-judaïsme médiéval occidental?
On feint d’ignorer que pendant des siècles, les juifs qui vivaient au contact des chrétiens, tout en ne bénéficiant pas des mêmes droits, étaient considérés comme un peuple déicide, pour avoir dénoncé le Christ et être de fait responsable de sa mort.
On ne dit pas non plus qu’en 1096, les chrétiens partis en croisade en Terre Sainte sont à l’origine de nombreux pogroms dans les villes de Rhénanie et de France. Une bonne lecture s’impose à ce sujet, «Les croisades vues par les Arabes», d’Amin Maalouf, qui témoigne de cette page de l’Histoire écrite d’un autre point de vue, et raconte la protection contre les croisés apportée par les Arabes aux populations juives…
On ne parle pas non plus de 1492, lorsque les Rois catholiques, Ferdinand II d’Aragon et Isabelle de Castille, ont décrété l’expulsion des juifs (et des Maures) d’Espagne. Où ont-ils trouvé refuge? En France? Non, en Afrique, notamment au Maroc, en Asie, en Turquie et en Grèce.
Enfin, on prétend oublier aussi que l’intégration des juifs de France ne prit pas moins d’un siècle, et on accuse dans le même temps les musulmans, venus pour combattre aux côtés de la France ou y travailler dans les mines, de ne pas s’intégrer.
Et pourtant, c’est toute honte bue qu’un certain Éric Zemmour, accusé il y a quelques années de «contestation de crime contre l’humanité» pour avoir soutenu que le maréchal Pétain a «sauvé» des juifs français pendant la Seconde Guerre mondiale, s’est permis de déclarer ‚depuis Israël où il s’est rendu en sauveur, qu’«il y a un antisémitisme venu des banlieues islamisées qui trouve sa source dans la culture arabo-musulmane, dans le Coran, et manifeste une grande hostilité aux juifs et aux chrétiens. Nous avons importé massivement une population qui était anti-juive depuis mille ans». Des propos mensongers et abjects qui, vus du Maroc, où le roi Mohammed V avait refusé de livrer les Marocains de confession juive au régime de Vichy, ont manqué de nous faire nous étouffer, nous autres Marocains musulmans et juifs.
Cette propagande islamophobe, aujourd’hui entrée dans les mœurs, a donné lieu à de très nombreux écarts sur les plateaux télévisés en l’espace de quelques jours seulement. Le 31 octobre, l’éditorialiste Pascal Perri évoquait ainsi sans sourciller «un antisémitisme couscous» dans la matinale de LCI. Après avoir été taxés de «melons», de «bicots», nous avons droit à un nouveau sobriquet, les «couscous».
De plus en plus, s’impose aussi sur les plateaux télévisés ce concept théorisé par le politologue Gilles Kepel en 2020, le «djihadisme d’atmosphère», repris à tout va avec une folle légèreté. Ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres qu’on peut lister chaque jour dans les médias de l’Hexagone, dans la bouche des experts et des politiques, depuis que ceux-ci ont décidé de se servir du conflit qui oppose Israël au Hamas pour créer un conflit qui n’existait pas, et qui opposerait prétendument les musulmans aux juifs.
C’est dans ce contexte explosif et propagandiste que l’on «s’inquiète» et que l’on «s’insurge» en France de l’usage de l’expression «Allah Akbar» dans les manifestations pro-palestiniennes car, a-t-on désormais tôt fait de décréter, c’est un cri de guerre, un signe de soutien au terrorisme. Nous avons ainsi eu droit aux propos tenus par la secrétaire nationale du parti Europe Écologie-Les Verts, Marine Tondelier, qui a critiqué, le vendredi 20 octobre, l’usage de cette formule dans les manifestations pro-palestiniennes, jugeant son emploi «complètement débile et choquant dans le contexte». Julien Dray, l’un des créateurs de SOS Racisme, a déclaré de son côté sur X (anciennement Twitter): «Ce soir, les milliers de personnes qui ont crié Allah Akbar ont donc repris à leur compte le cri des assassins du jeune professeur ou des victimes du Bataclan. C’est bien que ces manifs se tiennent, car chacun peut désormais juger». Quant à Jean Messiha, chroniqueur aux idées ouvertement d’extrême droite, il juge que «ces manifs aux cris d’Allah Akbar Place de la République sont antisémites mais aussi anti-françaises»…
Qu’en pensent donc les 1,5 milliard de musulmans qui prononcent cette phrase plusieurs fois par jour dans leurs prières pacifiques? Qu’en pensent les millions d’Arabes chrétiens qui prononcent, eux aussi, «Allah Akbar» à l’église? Qu’en pense la communauté française qui vote extrême droite en France, tout en habitant au Maroc, où l’appel à la prière et les «Allah Akbar» résonnent cinq fois par jour dans toutes les rues? On se le demande…
Ce raccourci est si dangereux et tellement répandu en France qu’une chaîne comme BFM TV n’a pas hésité à questionner: «Crier Allah Akbar est-il considéré comme une infraction?». Non, ce n’est pas une blague de mauvais goût. Le raccourci commence à porter ses fruits (pourris).
Il y a cinq jours, la presse titrait à l’unisson sur «une femme voilée menaçante», sur laquelle la police a tiré -à huit reprises- pour avoir répété «Allah akbar» dans le RER C et avoir refusé d’obtempérer. Cette femme -qui souffre de troubles psychologiques, a-t-il ensuite été expliqué- était il y a quelques jours entre la vie et la mort. Et depuis, plus rien. On n’en parle plus.
Soit, elle était en proie à des troubles psychiatriques… Mais elle était voilée et elle a prononcé ce que l’on assimile désormais à l’annonce d’un attentat terroriste, et cela a suffi à la neutraliser. Voilà où en est arrivée la France. La liaison entre voile, islam et terrorisme est désormais parfaitement établie, au point qu’elle donne droit à un permis de tuer.
Quel est donc le projet de société auquel aspire l’Hexagone? À quoi va aboutir cette stigmatisation d’une communauté pour son appartenance ethnique et religieuse? Le futur se prédit dans les pages les plus sombres de l’histoire, qui comptent tellement de réponses à cette question.