Lors de sa visite officielle en Italie, la semaine dernière, du 25 au 27 mai, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a déclaré, au cours d’une conférence de presse avec le président italien, Sergio Mattarella, que Rome et Alger partageaient la même vision sur la crise politico-économique que vit actuellement la Tunisie. «Il y a une convergence totale dans nos positions diplomatiques et politiques. Nous partageons les problèmes de la Tunisie. Nous sommes prêts, les deux, à aider la Tunisie à sortir de l’impasse et ce jusqu’à qu’elle retrouve la voie démocratique», a affirmé le président algérien, concernant son voisin maghrébin de l’Est et pays nord-africain le plus proche géographiquement de l’Italie.
Les propos de Tebboune sont clairs comme l’eau de roche et ne se prêtent à aucune équivoque. Ils témoignent d’une ingérence criante dans les affaires intérieures d’un pays souverain et sont sous-tendus par une minimalisation de la taille de la nation tunisienne. Tebboune, qui a «usurpé» la fonction présidentielle selon l’un des slogans phares du Hirak, n’a visiblement pas mesuré l’impact de sa déclaration filmée. Il a indirectement accusé son homologue, Kaïs Saïed, d’avoir conduit la Tunisie à l’impasse, à la crise, voire d’avoir perpétré un coup d’Etat contre les institutions constitutionnelles locales.
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En réaction aux propos du président algérien, les médias tunisiens ont immédiatement fustigé la «volte-face» algérienne, une «ingérence» dans les affaires internes de la Tunisie et une «atteinte à sa souveraineté».
Devant l’ampleur de l’indignation suscitée en Tunisie, le régime algérien a activé tous ses relais pour accuser –une fois encore– le Makhzen d’avoir fait de la surenchère sur les propos de Tebboune en les sortant de leur contexte, pour insister sur le fait qu’il ne faudrait surtout pas céder aux jaloux de la lune de miel entre Alger et Tunis, et pour dire aussi que le président algérien serait le dernier à violer la doctrine de son pays consistant à ne pas s’ingérer dans les affaires d’un autre pays, etc.
A ce propos, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a choisi, depuis Malabo en Guinée équatoriale, de communiquer sur cette affaire. Il lui a suffi de reprendre un tweet du chef de la diplomatie tunisienne, Othman Jerandi, relatant la brève rencontre qui les a réunis en marge du sommet extraordinaire du l’Union africaine sur le terrorisme et les changements anticonstitutionnels en Afrique.
Dans ce tweet, Othman Jerandi affirme que «l’Algérie restera toujours un soutien de la Tunisie». La voix du chef de la diplomatie tunisienne, bien connu pour sa vassalité au régime d’Alger, est toutefois inaudible face au tollé qu’ont provoqué les propos de Tebboune.
Dans le même sillage, une «source diplomatique» anonyme s’est exprimée dans les colonnes du site Echoroukonline, expliquant que «les propos du président de la République sur la situation en Tunisie ont donné lieu à des lectures biaisées et d’interprétation hypothétique, basées sur des partis pris, qui ne correspondent pas à l’expression franche par le président de la solidarité agissante de l’Algérie avec la Tunisie et son peuple frère pour les aider à surmonter les difficultés rencontrées».
Une «Solidarité agissante»? On a envie de bien rire devant la condescendance des propos de Tebboune et cette manifestation d’une prétendue supériorité consistant à amener la Tunisie «vers la voie de la démocratie». La clarté de la déclaration de Tebboune ne souffre d’aucune ambiguïté, ce qui embarrasse considérablement le régime algérien, qui ne sait pas comment sortir de l’impasse sans désavouer Tebboune.
Le président de l'Assemblée populaire nationale (le Parlement algérien), Brahim Boughali, a fait hier, lundi, un discours traversé de bout en bout par le refus de l’Algérie de s’ingérer dans les affaires d’autres pays. A ce sujet, il affirmé: «nous œuvrons par le biais de la diplomatie parlementaire à généraliser l'approche algérienne basée essentiellement sur le droit des peuples à adapter leurs politiques en fonction de leurs spécificités et leur nature loin de l'ingérence étrangère, cette ingérence dont l'objectif est de diviser le continent pour servir certains intérêts et anéantir les capacités africaines». Décoder ces propos revient, en fait, à se justifier envers la Tunisie.
Mais de fait, la défense du régime algérien est très faible et ne réussit à convaincre personne. Mieux encore: dans les chancelleries étrangères, des questions très sérieuses commencent à se poser sur l’aptitude de Tebboune à codiriger le pays avec les militaires. Les généraux sont affaiblis par les purges incessantes depuis 7 ans et le chemin de la prison ou la voie de la fuite semblent être le sort le plus plausible réservé à leur carrière. C’est donc cette conjonction entre une armée constamment décapitée de ses chefs, et un président qui ne sait pas mesurer ses paroles qui est aujourd'hui la marque patente de ce régime à bout de souffle.
Quant à la Tunisie, elle va certainement arracher des dividendes grâce aux propos irresponsables de Tebboune. Il ne faudrait pas s’étonner que le régime algérien décide d’ouvrir ses frontières terrestres avec son voisin de l’est, permettant ainsi à des centaines de milliers d’Algériens de passer leurs vacances sur les plages tunisiennes.