Il n’aura fallu qu’un communiqué officiel du président allemand pour que le pouvoir algérien, à bout de souffle, accepte enfin de relâcher celui qu’il a transformé en otage politique. Une décision arrachée à Abdelmadjid Tebboune par son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, qui a plaidé, lundi, la grâce du grand écrivain franco-algérien «pour raisons humanitaires», n’hésitant pas à faire miroiter l’état de santé du même Tebboune, un habitué des hôpitaux allemands, pour mettre de la pression. Aujourd’hui, l’Algérie dit accepter la demande de l’Allemagne de gracier et de transférer l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal dans ce pays pour qu’il puisse y être soigné, a indiqué un communiqué de la présidence algérienne mercredi.
Une réjouissante issue, la fin d’une grande injustice, et la preuve, une de plus, d’un régime vacillant qui troque avec une facilité déconcertante tous les «principes» dont il se réclame contre bien peu de chose. Boualem Sansal n’a jamais été un détenu ordinaire, mais un otage. Arrêté le 16 novembre 2024 pour un propos jugé «blasphématoire» rappelant que l’Algérie avait hérité, sous la colonisation française, de territoires appartenant jusque-là au Maroc, condamné à cinq ans de prison en appel, il a surtout servi d’épouvantail à un régime en pleine décomposition.
Ce même pouvoir qui l’a publiquement insulté, avec un président qui l’a traité face caméra de «voleur», «bâtard», «à l’identité inconnue», découvre soudain en lui un «écrivain» et un homme de lettres méritant la clémence présidentielle. C’est dire l’étendue du naufrage. Le président Tebboune, qui s’époumone à incarner une Algérie «fière» et «souveraine», se couche aujourd’hui. Devant Berlin, pour continuer à s’y soigner. Et devant Paris, qui réclamait la libération de l’écrivain comme condition préalable à toute réouverture du dialogue.
Le grand écart d’un pouvoir sans boussole
La libération de Sansal n’est pas un geste humanitaire. C’est une capitulation diplomatique. L’Allemagne a posé ses conditions, la France a fait pression, et Alger a cédé. Comme toujours. Cette libération n’efface pas un an de honte. Elle consacre le degré zéro de la dignité d’un régime qui insulte un écrivain un jour et lui déroule le tapis rouge le lendemain, au nom d’intérêts privés et de calculs pathétiques.
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Car derrière cette mascarade se cache l’urgence vitale d’un pouvoir totalement isolé. Après la débâcle du Sahara, où même la Chine et la Russie ont tourné le dos à Alger, après la rupture avec Madrid et la glaciation avec Paris, le «Système» cherche désespérément une fenêtre d’air diplomatique. Sansal, paradoxalement, en devient la clé.
Tebboune avait juré, la main sur le cœur et la bouche pleine de «chouhada», qu’il ne céderait jamais aux «pressions étrangères». Il aura suffi d’un communiqué de la présidence allemande pour qu’il s’exécute. Il fallait sauver la face avant un nouveau séjour médical à Berlin, prévu ce mois de novembre. Et tant pis pour la «grandeur de l’Algérie».
Le plus ironique? Celui qu’on traitait de «traître» devient subitement un symbole d’humanité, presque un ambassadeur du dialogue franco-algérien. Un renversement aussi grotesque qu’indécent, mais qui en dit long sur la plasticité morale d’un pouvoir sans cap, sans colonne vertébrale, sans fierté.
Tout ça pour ça. Pour finir par libérer, la queue entre les jambes, celui qu’on avait piétiné. Pour quémander la bienveillance de Berlin et le regard de Paris. Pour espérer, vainement, redevenir fréquentable. Le régime d’Alger n’a plus de projet, plus de souffle, plus d’alliés. Il n’a que ses humiliations, ses rancunes et ses lâchetés. Il aura fait de Boualem Sansal un symbole malgré lui: celui de la dignité face à la bassesse, de la parole face à la peur et du courage face à la lâcheté.








