Les tensions Russie-pays occidentaux menées par les Etats-Unis et celles opposant les USA à la Chine à propos de Taiwan, qui viennent aggraver les désaccords entre les deux premières puissances économique mondiale depuis des années, semblent porter les germes d’une nouvelle reconfiguration du monde en deux grands pôles: les pays occidentaux face à un bloc mené par la Chine et la Russie.
Et cette reconfiguration géopolitique ne manquera pas d’avoir des impacts sur les échanges commerciaux et les flux des investissements directs étrangers avec des répercussions négatives sur les petits pays du tiers monde, notamment ceux d’Afrique subsaharienne.
Ainsi, selon les experts du FMI «la croissance économique en Afrique subsaharienne pourrait connaître un déclin permanent en cas de recrudescence des tensions géopolitiques», soulignent-ils expliquant que «l’Afrique subsaharienne pourrait être la région la plus pénalisée si le monde se divisait en deux blocs commerciaux isolés, l’un constitué autour de la Chine et l’autre autour des Etats-Unis et de l’Union européenne».
Lire aussi : Les populations les plus riches et les plus pauvres d’Afrique en 2023, selon Global finance
Selon ces experts, dans le cadre du scénario le plus défavorable, «les pays d’Afrique subsaharienne pourraient connaître un déclin permanent allant jusqu’à 4% du Produit intérieur brut (PIB) après 10 ans selon nos estimations, soit des pertes plus élevées que celles subies par nombre de pays lors de la crise financière mondiale».
Cette situation s’explique par le fait que de nombreux pays du continent ont, au cours de ces dernières années, développé une certaine dépendance vis-à-vis de la Chine devenue depuis quelques années le premier partenaire économique du continent. Outre le fait que l’Empire du milieu soit le premier partenaire commercial et le premier investisseur en Afrique subsaharienne, certains pays sont globalement dépendant de la Chine pour leurs exportations de minerais et de produits agricoles.
D’ailleurs, les chocs provoqués par la crise sanitaire du Covid-19 et plus récemment la guerre Russie-Ukraine se sont traduits par des perturbations des approvisionnements des pays du continent et d’un ralentissement des exportations en raison d’une de régime de l’économie chinoise.
Partant, «si ces tensions géopolitiques devaient s’envenimer, les pays pourraient subir une hausse des prix à l’importation ou même perdre l’accès à leurs principaux marchés à l’exportation», expliquent les analystes sachant qu’«environ la moitié de la valeur du commerce de la région avec le reste du monde pourrait être affectée».
Lire aussi : Transport aérien: quand le faible octroi de la 5e liberté freine la connectivité en Afrique
Pire, en cas d’interruption des mouvements de capitaux entre les blocs commerciaux, l’Afrique subsaharienne «pourrait perdre environ 10 milliards de dollars d’entrées d’investissements directes étrangers (IDE) et d’aides publiques au développement, soit environ un demi pour cent du PIB par an (à partir d’une estimation moyenne pour la période 2017-2019», à cela s’ajoute le fait que «la baisse des IDE à long terme pourrait également entraver les transferts de technologie dont la région a tant besoin».
En outre, une exacerbation des tensions géopolitiques entre les deux blocs pourrait entraver les restructurations des dettes des pays africains en entrainant des problèmes de coordination entre leurs créanciers. Or, selon le dernier rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), 21 pays du continent sont menacés de surendettement, huit sont déjà en situation de surendettement. C’est dire qu’une aggravation des tensions géopolitiques pourrait empêcher les restructuration des dettes de nombreux pays et ce d’autant que les puissances mondiales pourraient en faire une monnaie d’échange pour l’alignement des pays endettés.
Lire aussi : Surendettement: voici les 21 pays le plus menacés en Afrique, selon la CNUCED
Face à cette situation, les pays d’Afrique subsaharienne devront renforcer leur résilience pour mieux gérer les reconfigurations inévitables qui résulteront des tensions géopolitiques. Pour cela, l’Afrique subsaharienne doit d’abord sortir du modèle sur lequel repose son économie, hérité de l’ère coloniale, et qui s’articule sur les exportations de matières premières (minerais, produits agricoles, pétrole…) et les importations de produits manufacturés à valeur ajoutée. Et si de nombreux pays du continent affichent désormais leur volonté de transformer leurs matières premières localement, celà reste encore du domaine des intentions.
Ensuite, cette situation pourrait être atténuée par l’intensification des échanges commerciaux interafricains. La mise en place effective de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) peut contribuer à réduire la dépendance du continent vis-à-vis du reste du monde.
A ce titre, il faut souligner que l’Afrique est le continent le moins intégré. Les échanges intra-africains représentent à peine 16% du total des échanges commerciaux du continent, contre 63% de commerce intra-européen. La Zlecaf devrait stimuler les échanges grâce à l’atténuation des obstacles tarifaires et non-tarifaires. Ainsi, les droits de douane sur 90% des lignes tarifaires devront être éliminées sur une période de cinq ans (dix pour les pays les moins avancés), après le lancement du marché. Ce qui devrait booster les échanges, surtout si les pays acceptent d’éliminer les nombreuses barrières non tarifaires.