Macron/Tebboune: divorce à l’algérienne!

Mustapha Tossa.

ChroniqueJamais ces dernières décennies, les relations entre Alger et Paris n’ont atteint un tel niveau de tension et une telle impasse. Même au pire de la décennie noire, dont la France recevra quelques éclats terroristes dans les années 90, le canal de communication restait ouvert et le régalien prenait le dessus.

Le 13/01/2025 à 15h58

Il est vraiment loin le temps où le président français Emmanuel Macron se jetait dans les bras du président algérien Abdelmadjid Tebboune, pratiquant une diplomatie tactile qui se voulait rassurante sur les intentions des deux pays dans leur quête de réconciliation mémorielle. Il est loin le temps où, après une visite d’Etat de Macron à Alger et à Oran, la moitié du gouvernement d’Elisabeth Borne de l’époque se transportait en Algérie pour construire une feuille de route stratégique dans les relations entre les deux pays.

Aujourd’hui, l’heure est à la rupture, au divorce, aux menaces et aux défis. Jamais sans doute les relations entre Alger et Paris n’ont atteint un tel niveau de tension et une telle impasse depuis plusieurs décennies. Même au pire de la décennie noire, dont la France recevra quelques éclats terroristes dans les années 90, le canal de communication était ouvert et le régalien prenait le dessus.

Aujourd’hui, la séquence est totale différente. L’impression d’un régime algérien décidé à pousser la France dans ses derniers retranchements, de l’acculer à prendre des décisions qu’elle a longtemps présentées comme des armes dissuasives est réelle. Et ce n’est ni un hasard ni une erreur de langage si, réagissant à cette crise, le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau a évoqué cette intention explicite «d’humilier la France».

Tout a commencé un 30 juillet, lorsque que le président Macron a adressé une lettre à SM le roi Mohammed VI, dans laquelle il affirmait la volonté de la France d’apporter son soutien à la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Par dépit, Alger avait rappelé son ambassadeur de Paris et créé un vide diplomatique entre les deux pays. Cette crise avait pris une nouvelle dimension quand, à l’occasion de sa visite d’Etat au Maroc, Emmanuel Macron avait concrétisé la reconnaissance française de la marocanité du Sahara.

Mélodrame aigu à Alger lors de l’arrestation arbitraire de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, sous prétexte qu’il avait fait des déclarations rappelant des faits historiques incontestables, à savoir qu’une grande partie de l’ouest algérien appartenait au Royaume du Maroc et que les ciseaux de la France, puissance coloniale, en avaient décidé autrement. Paris tente discrètement de libérer Sansal des prisons algériennes. Échec diplomatique. Pire, Tebboune traite Sansal de la plus vile des manières: «Vous venez (la France, NDLR) aujourd’hui m’envoyer un voleur, à l’identité inconnue, un bâtard, pour me dire que la moitié de l’Algérie appartenait en fait à un autre pays (le Maroc, NDLR)!», lance le président algérien. Quand le premier magistrat de la république algérienne parle en des termes aussi vils d’un écrivain, à quelle justice faut-il s’attendre lors de son procès? Emmanuel Macron sort la grosse artillerie sémantique en parlant du «déshonneur» de l’Algérie à garder Sansal en prison et procède à l’arrestation de quelques activistes sur les réseaux sociaux, proches du régime algérien, accusés de propager des incitations à la haine et des appels au meurtre et au terrorisme.

Alger pousse la provocation jusqu’à refuser l’entrée sur son territoire à un influenceur algérien, muni d’un passeport valide, expulsé dans l’urgence absolue par la France. Tous les ingrédients de la confrontation politique et du défi sont installés entre les deux pays. La nouveauté française, cette fois-ci, réside dans l’élargissement des cercles du pouvoir français qui appellent à une vraie riposte face aux provocations algériennes. Traditionnellement, les milieux de droite et d’extrême droite sont les plus prompts à froncer les sourcils envers le régime algérien, tandis que les milieux de gauche, par atavisme ou par opportunisme, couvent ce régime de leur protection. Aujourd’hui, à l’exception d’une niche très réduite de l’extrême gauche, l’ensemble du spectre politique français appelle à traiter ces comportements avec la plus grande fermeté.

Au sein du sérail français, la grande conversation tourne autour des mesures à prendre pour former cette riposte dissuasive. Bien entendu, il est question de dénoncer le fameux accord de 1968 qui offre à l’immigration algérienne un statut privilégié. Il aussi est question de réduire drastiquement les visas octroyés aux Algériens en ciblant particulièrement les passeports diplomatiques, qui permettent à une élite politique, économique et militaire de circuler librement entre Alger et Paris. Il est question d’exercer un contrôle drastique des flux financiers privés entre les deux pays, qui permettent à de nombreuses personnalités du régime d’Alger d’acquérir des biens immobiliers en France. Il est question aussi de lancer des investigations sur les biens mal acquis algériens en France, à l’instar des opérations qui avaient visé des dirigeants africains. Ces choix discutés au plus haut sommet de l’Etat ont provoqué la démission du chef de la cellule diplomatique de l’Elysée, Emmanuel Bonne, pour désaccords avec sa hiérarchie.

Mais la plus grande mesure et sans doute la plus dangereuse pour le pouvoir algérien est la décision française de mobiliser l’ensemble de l’architecture politique européenne (commission, parlement, conseil de l’Europe) pour créer une approche de sanction commune à l’égard du régime d’Alger. Une mission envisageable, dans la mesure où les pays européens sont susceptibles de vivre la même logique de chantage et de provocation de la part d’Alger. Et donc les mêmes bras de fer et les mêmes impasses.

Par Mustapha Tossa
Le 13/01/2025 à 15h58