Deux semaines après le naufrage d’une embarcation de migrants au large de la Grèce qui a fait des centaines de disparus, cinq survivants, rencontrés par l’AFP près d’Athènes, accusent les garde-côtes d’avoir manqué de volonté pour les sauver.
Depuis la tragédie, le gouvernement grec met au contraire la seule responsabilité sur les réseaux de passeurs. «La véritable responsabilité incombe aux gangs criminels qui ont rempli le bateau de personnes désespérées (...) sans même leur donner de gilets de sauvetage», a affirmé jeudi à Bruxelles le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis.
À l’écart des policiers grecs qui contrôlent scrupuleusement l’accès au camp de réfugiés de Malakasa, au nord d’Athènes, Hassan, un réfugié syrien de 26 ans, ne cache pas sa colère envers les garde-côtes, dont la lenteur à intervenir, le 14 juin, a été dénoncée par ONG et médias.
«Je n’avais pas du tout l’impression que les garde-côtes grecs voulaient nous sauver»
— Hassan, un réfugié syrien de 26 ans, rescapé du naufrage.
«Je n’avais pas du tout l’impression que les garde-côtes grecs voulaient nous sauver», déplore-t-il. Il figure parmi les 104 hommes, dont de nombreux Syriens, repêchés par les gardes-côtes, après le naufrage du bateau de pêche.
Selon leurs témoignages, entre 600 et 750 passagers étaient à bord dont des femmes, des enfants dans la cale du bateau, qui n’ont pas pu être sauvés. «Je ne sais pas exactement combien ils étaient mais nous entendions leurs pleurs, leurs cris», se souvient Ahmad, un Syrien de 27 ans.
Au moins 82 personnes sont mortes noyées et des centaines d’autres ont disparu quand ce chalutier parti de Libye à destination de l’Italie a chaviré le 14 juin avant de couler en 15 minutes à 47 milles nautiques de Pylos (sud de la Grèce).
«Ce n’était pas un accident»
Ce naufrage a soulevé de nombreuses questions sur les responsabilités des autorités grecques. Les garde-côtes n’ont révélé qu’au compte-goutte les conditions du drame. Une enquête judiciaire sur les causes de ce drame a été ouverte en Grèce. Lundi, l’Agence européenne des frontières a indiqué qu’Athènes avait ignoré une offre de soutien aérien supplémentaire de Frontex.
Selon les cinq survivants interrogés, des cordes ont été lancées par les gardes-côtes, à deux reprises, vers leur embarcation en détresse pour les tracter. La première fois, la corde a lâché. La seconde fois, «la corde a été attachée à l’avant par le bateau militaire qui a soudain fait des zigzags très rapides, produisant des vagues. C’est à ce moment-là que le bateau a chaviré», soutient Salim, un Syrien de 28 ans.
Cet exilé, qui par crainte pour sa sécurité a requis, comme les autres, l’anonymat, va jusqu’à accuser les garde-côtes d’avoir agi à dessein: «Ce n’était pas un accident!». Selon le Conseil pour les réfugiés (GCR) entre 35 et 40 survivants ont relaté les mêmes événements concernant le remorquage par les garde-côtes de l’embarcation avec un câble.
«Pourquoi ont-ils tracté l’embarcation? Nous devons attendre les résultats de l’enquête», note Lefteris Papagiannakis, directeur du GCR relevant toutefois un retard flagrant dans l’opération de sauvetage.
Canots gonflables
Le 13 juin au matin, des passagers de ce bateau vétuste lancent l’alerte auprès de l’ONG Alarm Phone avant que deux bateaux marchands dans la zone leur apportent de l’eau et de la nourriture. Selon le gouvernement grec, «les gardes-côtes s’étaient également rapprochés du bateau, ils ont jeté une corde pour le stabiliser, mais les migrants ont refusé l’aide».
Un drone et un hélicoptère survolent l’embarcation, selon les survivants. «Le moteur s’est complètement arrêté peu avant minuit (le 13 juin). Les garde-côtes grecs sont arrivés après», relève Ahmad.
Vers 02H00 locales le 14 juin, Salim saute dans l’eau après le chavirement du chalutier. Il a encore sa montre embuée au poignet. «Pendant au moins 10 minutes, les garde-côtes nous regardaient de loin avant d’envoyer deux canots gonflables pour nous aider», continue-t-il, les larmes aux yeux. Azad, 21 ans, a nagé pendant une heure pour atteindre le bateau des garde-côtes. «Certains qui ne savaient pas nager voulaient s’agripper à nous, il fallait penser à sa survie», raconte-t-il, ému.
Avant ce drame, Salim avait déjà connu l’enfer en Libye: «J’ai été déplacé pendant huit mois dans des hangars où nous étions des dizaines de personnes entassées», décrit ce Syrien de Deraa, bastion de la rébellion contre le régime.
«Je ne sais pas pourquoi j’ai survécu à tout cela...», confie Rukayan, un Kurde de Kobané, en Syrie, hanté par les images du naufrage. Son cousin de 17 ans a disparu. Au bout du troisième jour en mer, l’eau et la nourriture ont commencé à manquer. «Deux personnes sont mortes de soif, d’autres buvaient de l’eau de mer», raconte son ami Hassan.