«Comment la crise au Niger pourrait bénéficier à Alger». C’est le titre on ne peut plus éloquent d’une analyse publiée par Xavier Driencourt, diplomate et ancien ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020, sur les colonnes du Journal du Dimanche. Fin connaisseur des arcanes du pouvoir algérien, pour s’y être frotté de longues années durant, Driencourt expose dans son écrit les contradictions apparentes d’un régime algérien qui, à y voir de plus près, ne dit pas ce qu’il pense et ne fait pas ce qu’il dit.
Il y a d’abord la posture officielle qui est elle-même imbibée d’ambivalence. L’Algérie a certes officiellement condamné le putsch du 26 juillet dernier au Niger et exprimé «sa profonde préoccupation». Elle se range donc, en apparence, résolument contre les putschistes de Niamey. Mais, en même temps, elle s’insurge contre l’éventualité d’une intervention militaire de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Cette dernière avait en effet fixé un ultimatum d’une semaine aux putschistes nigériens, les menaçant d’une opération militaire si le président déchu Mohamed Bazoum n’était pas réinstallé au pouvoir. Le délai a expiré dimanche 6 août, mais aucune intervention armée ne semble se profiler.
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Cela n’a pas empêché Alger de monter au créneau. Une manière de signaler qu’elle a son mot à dire, et assez pour déceler des intentions cachées, déduit le diplomate.
Une carte nommée chaos
Les faits confortent son postulat, et ce, à plus d’un titre. «D’abord, la position de l’Algérie vis-à-vis de la présence militaire de la France, son ancien colonisateur, sur sa frontière Sud, matérialisée par les opérations militaires Serval et Barkhane, n’a jamais, depuis 2013, été très claire», écrit Driencourt. La position est même qualifiée d’ambiguë, en dépit des échanges entre les plus hauts responsables des deux pays. Un retour de l’Algérie sur cet «acquis» n’est pas exclu. D’autant qu’elle pourra toujours se cacher derrière le fait qu’il s’agit d’un héritage du passé. Et pour cause, «c’est l’ancien régime algérien, officiellement honni, celui du président Bouteflika (dont presque tous les anciens ministres sont aujourd’hui en prison), qui avait donné à la France, du bout des lèvres, l’autorisation de survol de son territoire en 2013».
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En dehors de cette liberté de survol de son territoire, Alger s’est, en plus, montrée très peu coopérative avec la France sur les dossiers essentiels s’agissant du Sahel. À commencer par la lutte antiterroriste. L’ancien ambassadeur précise à ce titre que la coopération entre l’Algérie et la France contre les islamistes a toujours été limitée… à la fourniture d’eau et d’essence. «Nous n’avons jamais réussi à mobiliser l’armée algérienne dans une véritable coopération opérationnelle», lit-on.
Doubler la France, servir la Russie
Mieux, et alors que tous les étrangers qui foulent le sol algérien sont épiés, suivis et escortés. «L’armée algérienne n’avait pas “vu”, quinze jours durant, en juin 2020, le responsable de Al-Qaïda au Maghreb islamique, Abdelmalek Droukdel, aller d’Alger à sa frontière Sud», illustre Xavier Driencourt.
Actuellement, et tout en se cachant derrière une position officielle stérile, officieusement, Alger s’active, notamment en lâchant sa presse «si elle existe encore» contre la politique française en Afrique et contre les menaces d’intervention militaire de la CEDEAO ou les supposées menaces européennes au Niger. «Ce sont autant de signes qui montrent que la position d’Alger n’est pas si claire», conclue Driencourt.
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En toile de fond, la crise qui ne dit pas son nom entre l’Algérie et la France. «Le voyage du président Tebboune à Paris, reporté à deux reprises et remplacé par un surréaliste déplacement à Moscou, suivi de décisions provocatrices comme le communiqué algérien de soutien aux émeutes en France», énumère le diplomate. La guerre en Ukraine est passée par là, Alger a choisi son camp et «les relations franco-algériennes sont entrées dans une nouvelle période polaire».
Une nouvelle période où le régime algérien semble prêt à jouer les proxies. Le diplomate va jusqu’à supposer que le président russe Vladimir Poutine, qui compte ses alliés et ses soutiens et tire bien des ficelles dans la crise au Niger, aurait soufflé à son homologue algérien, afin de déstabiliser un pays clef de l’OTAN, l’idée de soutenir les émeutes en France. «De même que Moscou pourrait encourager Alger à se rapprocher à présent des putschistes de Niamey, comme de ceux de Bamako et Ouagadougou toujours pour nous fragiliser», affirme Driencourt. Le voyage cette semaine du chef d’état-major algérien, le général Saïd Chengriha, à Moscou, participe à semer davantage un doute qui sera immanquablement levé dans les tout prochains jours. Une chose est sûre: la junte file du mauvais coton.