Depuis quelques jours, l’affaire fait grand bruit sur les réseaux sociaux qui se sont fait l’écho, relayé dans un article paru sur Le360, d’une énième affaire de réappropriation culturelle marocaine par l’Algérie.
Ainsi, l’affiche de promotion d’un salon de l’artisanat à Tlemcen qui se tenait du 15 au 18 mai a suscité un véritable tollé après la découverte au centre de cette affiche de la photo d’une artisane marocaine, légendée par la banque d’images Flikr où elle visible, «femme berbère – Maroc».
Face à ce cas de pillage culturel qui consiste à s’accaparer un savoir-faire marocain pour le localiser et l’attribuer à Tlemcen, le fils de cette femme qui se prénomme M'Barka n’a pas tardé à monter au créneau en diffusant une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il présente sa mère au public, explique qu’ils habitent au Maroc dans le village de Taznakht, et s’insurge de l’usurpation de son image.
Le club des avocats du Maroc entre dans la danseMais la famille de M'Barka ne s’est pas arrêtée là et a également contacté le Club des avocats du Maroc, en la personne de Mourad Elajouti son président, qui a fait expressément le déplacement jusqu’à Taznakht, lundi 23 mai, pour y rencontrer M'Barka et sa famille.
Contacté par Le360, Mourad Elajouti, explique le contexte de sa rencontre avec l’artisane. «La rencontre a eu lieu après qu’un certain nombre d’acteurs de la société civile ont identifié cette femme à travers ses photos et lui ont fait parvenir l’affiche produite par la délégation de l’artisanat de Tlemcen. M'Barka été très affectée par cette utilisation frauduleuse de son image mais aussi de l’appropriation de ses compétences et de son savoir-faire sans son consentement».
Lire aussi : Pillage culturel: des photos du Maroc utilisées en Algérie pour promouvoir le salon de l’artisanat de Tlemcen
Le président du club des avocats a ainsi «été contacté en (sa) qualité d’avocat et de président du club des avocats par la famille, qui (lui) a demandé de l’assistance parce qu’ils avaient besoin de quelqu’un pour les guider d’un point de vue juridique afin de poursuivre en justice les personnes qui ont utilisé frauduleusement l’image de M'Barka».
M'Barka Ait Ouhassi, 74 ans, très attachée à son pays et à son patrimoine, exerce son art depuis quarante ans.
«Cette femme travaille dans le tissage traditionnel des tapis et utilise des peintures biologiques, soit une technique particulière à Taznakht, ville connue mondialement pour la qualité de ses tapis exportés jusqu’au Japon et dans les pays scandinaves», explique ainsi l’avocat, qui s’insurge qu’on la fasse passer pour une artisane de Tlemcen.
Dans ce combat juridique qui s’annonce, M'Barka pourra aussi compter sur le soutien du ministère de la Culture, lequel, très réactif, a commandité sur place son directeur provincial afin non seulement de soutenir M'Barka mais aussi pour qu’un hommage lui soit rendu.
Très impliqué, Mehdi Bensaïd, le ministre de la Culture, contacté par le Club des avocats du Maroc, a ainsi préconisé le recours au cadre juridique «Label du Maroc», initié par ce ministère, et qui «permet d’ester en justice dans les cas d’appropriation culturelle, de pillage ou de vol du patrimoine culturel marocain immatériel», poursuit Mourad Elajouti.
«La procédure consiste à labelliser les éléments du patrimoine culturel qui sont déposés auprès de l'ompic sous classification internationale ce qui permettra aux propriétaires de droits d'attaquer les usurpateurs en justice devant les tribunaux et les organisations internationales», explique-t-il.
Les procédures juridiques en coursDans un premier temps, «nous allons saisir les instances de conciliation et d'arbitrage de l'Unesco ainsi que l'organisation mondiale de propriété intellectuelle. Suite aux retours que nous aurons nous passerons à l'étape judiciaire», annonce le président du Club des Avocats, contacté par Le360.
Car «le but de Lalla M'Barka à travers cette action est de mettre la lumière sur la multiplication de ces actes d'appropriation culturelle et de pillage des expressions culturelles traditionnelles qui doivent être protégées», indique-t-il.
Pour ce faire, annonce Mourad Elajouti, «nous allons également nous baser sur La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, un traité de l'UNESCO adopté par la Conférence générale de l'UNESCO le 17 octobre 2003». Cette convention est entrée en vigueur en 2006 à la suite de sa ratification par trente Etats parties et fait suite au programme de la Proclamation des chefs-d'œuvre du patrimoine oral et immatériel de l'humanité. «En 2015, 163 États ont ratifié la Convention», précise l’avocat marocain.
Que dit la loi?Mourad Elajouti cite tout d’abord l’article 303 bis 1 du code pénal algérien, lequel punit d’une peine correctionnelle «toute personne qui conserve, porte ou laisse porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou utilise de quelque manière que ce soit, tout enregistrement, image ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 303 bis».
Lire aussi : Wikipédia, le nouveau front de la guerre que mène l’Algérie contre le Maroc
Par ailleurs, rappelle-t-il, «le droit exclusif à l’image est un droit naturel dont chaque personne peut se prévaloir. A cet effet, tout individu a le droit de s’opposer à l’utilisation ou à la diffusion de son image, que ce soit à un tiers ou au public. Par conséquent, que la personne soit majeure ou mineure, la diffusion d’une photo prise dans un lieu public nécessite son accord. Le concerné devra donner une autorisation écrite détaillant le lieu et le moment de la prise. Cette autorisation doit également préciser l’objet de l’utilisation de l’image en question».
Enfin, le comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore de l’OMPI a institué, rappelle l’avocat, un instrument juridique international visant à assurer, au titre de la propriété intellectuelle, une protection équilibrée et efficace des expressions culturelles traditionnelles.
«L’appropriation culturelle s’accompagnant manifestement d’un manque de respect, d’une absence de mention de la source et d’une déformation de la signification culturelle, l’extension du droit moral aux expressions culturelles traditionnelles est une solution sur laquelle les Etats membres de l’OMPI pourraient concentrer leur attention», a-t-il conclu.