Une nouvelle Assemblée de 161 députés, aux pouvoirs très limités, doit remplacer celle que Kaïs Saïed avait gelée le 25 juillet 2021, arguant d'un blocage des institutions démocratiques issues de la première révolte des Printemps arabes, après la chute du dictateur Ben Ali en 2011.
Le président de l'autorité électorale Isie, Farouk Bouasker, a annoncé un maigre taux de participation, encore provisoire, de «8,8% à 18H00» (17H00 GMT).
Il s'agit de la plus faible participation électorale depuis la Révolution de 2011 après des records (près de 70% aux législatives d'octobre 2014) et c'est trois fois moins que pour le référendum sur la Constitution l'été dernier (30,5%), déjà marqué par une forte abstention.
Ce nouveau Parlement «est censé être plus démocratique et représentatif que tous les précédents Parlements de l'histoire du pays», a ironisé l'analyste Youssef Chérif sur Twitter.
Farouk Bouasker a reconnu un «taux modeste mais pas honteux», estimant qu'il s'expliquait par «l'absence totale d'achats de voix (...) avec des financements étrangers», contrairement au passé, selon lui.
Le Front de salut national, une coalition d'opposants dominée par le parti d'inspiration islamiste Ennahdha -parti majoritaire du Parlement sortant- a qualifié ces résultats de «séisme», appelant le président à «réunir toutes les forces politiques» pour en discuter.
Accusant depuis des mois Kaïs Saïed (élu fin 2019) de «dérive dictatoriale», l'opposition et la plupart des formations politiques boycottaient le vote, pour dénoncer aussi un changement de loi électorale, imposant cette fois des candidatures sans affiliation à un parti.
Autre facteur pouvant expliquer la désaffection: les candidats (1.055), pour moitié enseignants ou fonctionnaires, étaient pour l'essentiel inconnus, avec très peu de femmes (moins de 12%) dans un pays attaché à la parité.
Avant le vote, la puissante centrale syndicale UGTT avait jugé ces législatives inutiles.
Depuis des mois, la crise économique est la préoccupation majeure des 12 millions de Tunisiens, avec une inflation de près de 10% et des pénuries récurrentes de lait, sucre ou riz.
«Pas de choix»Salima Bahri, une étudiante de 21 ans, rencontrée par l'AFP en banlieue de Tunis, n'a pas voté, estimant qu'«il n'y a pas de choix à faire, en l'absence de partis politiques».
En province, l'atmosphère était tout aussi morose.
A Kasserine (centre), région déshéritée proche de Sidi Bouzid où avait éclaté la Révolution de 2011, Abed Jabbar Boudhiafi, 59 ans, a voté «par devoir électoral» dans l'espoir d'une amélioration «politique et économique».
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Mohammed Jraidi, 40 ans, a boudé les urnes: «je n'ai pas confiance dans la classe politique et ça va de mal en pis».
Plus au sud à Gafsa, Aicha Smari, 46 ans, a voté «poussée par la date-anniversaire du 17 décembre» 2010 quand le jeune vendeur de fruits et légumes
Mohamed Bouazizi s'était suicidé par immolation après des vexations policières, déclenchant la Révolution.
L'Assemblée des députés issue du scrutin (après un second tour d'ici à début mars) aura des prérogatives très restreintes en vertu de la nouvelle Constitution votée en juillet.
«Monopole du pouvoir»Le Parlement ne pourra pas destituer le président et il lui sera presque impossible de censurer le gouvernement. Il faudra dix députés pour proposer une loi et le président aura la priorité pour faire adopter les siennes.
«Ce vote est une formalité pour parachever le système imposé par Kaïs Saïed et concentrer le pouvoir entre ses mains», selon le politologue Hamza Meddeb.
Le scrutin est «un outil dont se sert le président Saied pour conférer une légitimité à son monopole du pouvoir», abonde l'analyste Hamish Kinnear, du cabinet Verisk Maplecroft, estimant toutefois que le scrutin aura le mérite de faciliter l'obtention de l'aide des bailleurs de fonds étrangers.
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La Tunisie, dont les caisses sont vides, a demandé un nouveau prêt de deux milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI), qui conditionne d'autres aides étrangères.
Mais pour Jawhar Ben Mbarek du Front de salut national, «le peuple tunisien a envoyé un message aux forces étrangères -dont certaines ont soutenu le coup d'Etat de Kaïs Saïed- et au FMI, qu'il ne reconnaît pas ce gouvernement, donc ils doivent revoir leurs calculs».