Réélu à la tête du pays en mai 2023, le président turc Recep Tayyip Erdogan espérait enchaîner avec une nouvelle victoire aux élections municipales, tenues dimanche. Il n’en sera rien. Le dépouillement de près de 99% des urnes à l’échelle nationale confirme que l’opposition turque a infligé au parti AKP (Parti de la justice et du développement, islamo-conservateur) du chef de l’État sa pire débâcle électorale en deux décennies.
Le principal parti de l’opposition, le CHP (social-démocrate), a revendiqué sa victoire à Istanbul et Ankara, les deux plus grandes villes de Turquie et raflé de nombreuses autres, comme Bursa, grande ville industrielle du nord-ouest acquise à l’AKP depuis 2004.
La proclamation des résultats définitifs par la Haute commission électorale (YSK) attendue dans la journée de lundi confirmera ces résultats, déjà intégrés par les principaux intéressés, dont le chef de l’État. Depuis le siège de son parti à Ankara et devant une foule abattue, inhabituellement silencieuse, le président turc a promis de «respecter la décision de la Nation».
Peu auparavant, le maire sortant d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, avait annoncé sa réélection à la tête de la plus grande ville de Turquie, qu’il a conquise en 2019, sans même attendre la proclamation des résultats officiels. «Ce soir la démocratie va déferler (...) sur les places, dans les rues, les universités, les cafés et les restaurants d’Istanbul», a lancé l’édile face à des dizaines de milliers de ses partisans, exultant, accourus devant le siège de la municipalité, sous une déferlante de drapeaux turcs et de fumigènes.
À Ankara, le maire CHP Mansur Yavas, largement en tête, avait lui aussi déjà revendiqué la victoire, affirmant devant une foule en liesse que «ceux qui ont été ignorés ont envoyé un message clair à ceux qui dirigent ce pays». «Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie», a estimé le chef du CHP, Ozgur Ozel.
Percée en Anatolie
Outre Izmir (ouest), troisième ville du pays et fief du CHP, et Antalya (sud) où les partisans de l’opposition ont commencé à célébrer la victoire dans les rues, la principale formation de l’opposition a réalisé une percée spectaculaire en Anatolie. Elle fait la course en tête dans des chefs-lieux de provinces longtemps tenus par l’AKP, selon des résultats quasi définitifs qui ont pris de court les observateurs.
Le président Erdogan, âgé de 70 ans, dont 21 au pouvoir, avait jeté tout son poids dans la campagne, en particulier à Istanbul, dont il fut le maire dans les années 1990 et qui a basculé dans l’opposition en 2019. Mais l’engagement du chef de l’État, qui a annoncé début mars que ces élections étaient «ses dernières», n’a pas suffi.
Les candidats de l’AKP se sont toutefois maintenus en tête dans plusieurs grandes villes d’Anatolie (Konya, Kayseri, Erzurum) et de la mer Noire (Rize, Trabzon), bastions du président Erdogan, tandis que le parti pro-kurde DEM s’assurait une confortable avance dans plusieurs grandes villes du sud-est à majorité kurde, dont Diyarbakir, la capitale informelle des Kurdes de Turquie.
Tout au long de la campagne, le président Erdogan a enchaîné les meetings, bénéficiant d’un temps d’antenne illimité sur les télévisions publiques. La défaite de son parti, notamment à Istanbul, sera lourde de conséquences. Le maire d’Istanbul, abonné au podium des personnalités politiques préférées des Turcs, disposera une fois élu d’un boulevard vers la présidentielle de 2028.