Djamel Ould Abbès qui se promène nu. Abdelmalek Sellal qui pleure comme une fontaine. Ahmed Ouyahia qui perd ses nerfs à chaque fois qu’il voit à la télé un haut gradé. Ali Haddad dévasté. Les frères Kouninef muets. Tel est le témoignage que livre Hamza Djaoudi, un ex-détenu qui a séjourné dans la même prison que les anciens hommes forts du régime algérien.
Hamza Djaoudi a été révélé au grand public par YouTube, lorsqu’il y a posté une vidéo dans laquelle, en tant qu’officier de la marine marchande algérienne, il a dénoncé la mainmise émiratie (à travers la société DP World) dans la gestion des ports algériens, avec la complicité des généraux locaux. Pour avoir critiqué ce gang (une "Issaba"), le jeune capitaine, natif de Boumerdès, a été arrêté le 22 août 2019, avant de rejoindre, trois jours plus tard, la prison d’El Harrach.
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Lors du 37e vendredi des manifestations populaires, les militants du mouvement du Hirak avaient brandi les posters géants de Djaoudi et exigé sa libération immédiate. Condamné à une année de prison, dont 4 mois fermes, il avait été libéré le 31 décembre 2019. Il est devenu, depuis, un activiste de premier plan dans le mouvement contestataire algérien, régulièrement invité par les chaînes de TV privées locales et très présent sur les réseaux sociaux.
Samedi dernier, il a décidé de poster sur Facebook une longue vidéo, dans laquelle, face à la caméra, tout en s’exprimant en filigrane sur le Hirak et l’avenir de l’Algérie, il a livré un témoignage sur les anciens dignitaires du régime algérien, actuellement emprisonnés à El Harrach, et dont il a croisé un certain nombre.
Dans ce qui ressemble à une visite guidée du célèbre pénitencier, où paradoxalement les détenus du Hirak sont emprisonnés dans le même lieu que les cadors déchus dont ils dénonçaient les crimes, Hamza Djaoudi rapporte fidèlement ce qu’il a vu, mais aussi tout ce qui se raconte dans les couloirs d’Al Harrach, où les visites à l’infirmerie et les promenades quotidiennes sont l’occasion de rencontres et d’échanges entre les prisonniers des deux bords.
Ainsi, Hamza Djaoudi s’est retrouvé un jour nez à nez avec Amar Ghoul, ex-ministre des Transports et des travaux publics, arrêté en juillet 2019 pour corruption dans une affaire liée à un fiasco financier, celle de l’autoroute dite Est-Ouest, en même temps que son collègue de l’Industrie, Mahdjoub Bedda, et l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout et ses fils, oligarques à la tête d'usines de montage automobile.
Avec sarcasme, Hamza Djaoudi affirme qu’il n’a pas reconnu immédiatement Amar Ghoul. Et pour cause, le chef du parti du TAJ avait les cheveux tout blancs alors qu’il avait été un adepte de la teinture quotidienne chez son coiffeur, ce qui lui donnait alors un air d’éternel jeune homme. La déprime et le stress aidant, Amar Ghoul, 59 ans, a pris un quart de siècle en deux mois.
L’ex-garde des sceaux, Tayeb Louh, est, quant à lui, décrit comme un homme désemparé, qui a amèrement expérienté là où peut mener une justice au service des règlements de comptes.
Cet état psychologique dévasté est le lot que partagent des hommes d’affaires comme Ali Haddad, ou les frères Kouninef, qui se sont réfugiés dans un mutisme total, les yeux hagards, comme s’ils ne comprenaient pas pourquoi eux étaient là entre quatre murs, et non leurs principaux complices et donneurs d’ordres.
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Sans avoir rencontré les anciens Premiers ministres de Bouteflika, à savoir Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, Hamza Djaoudi a appris d’un infirmier de ce pénitencier que Abdelmalek Sellal ne cesse de pleurer à chaudes larmes le plus clair du temps, alors qu’Ahmed Ouyahia, devenu extrêmement nerveux, écrase mégot sur mégot, quand il n’envoie pas rageusement son poing en direction du téléviseur à chaque fois qu’un haut gradé de l’armée y apparaît.
Maigre consolation, ces deux ex-pontes du régime de Abdelaziz Bouteflika sont logés dans des suites de la prison d'Al Harrach, même si cela n’a rien à voir avec le luxe insolent qu'ils avaient naguère connu au Club des Pins, où se prélassent actuellement le président Abdelmadjid Tebboune, le général Saïd Chengriha et leur nouveau clan d’affidés.
Quant au chantre du Bouteflikisme, Djamel Ould Abbès, ancien ministre et ancien secrétaire général du parti-Etat, le FLN, sa sénilité a atteint un stade très avancé, voire terminal.
En liberté, et encore dans toute sa splendeur, Djamel Ould Abbès donnait déjà des signes de démence quand il avait affirmé au plus fort de la maladie de Bouteflika: «vous avez vu la chancelière allemande tendre l'oreille au président Bouteflika et l'écouter attentivement. Nous avons un président géant, écouté par les grands de ce monde»!
Dans sa cellule d’El Harrach, le «fou de Bouteflika» ne prend même plus la peine de s’habiller, et tourne en rond dans sa cage, en tenue d’Adam.
Dure est la déchéance des ex-hommes forts du régime algérien.