Dans aucun autre pays au monde, on ne peut voir un chef d’état-major reléguer un président de la république, même s’il est mal élu, à un rang de subordonné. Sauf en Algérie, où cette inversion des rôles, se voulant jusqu’ici un peu discrète, est devenue de plus en plus flagrante.
L’image que les Algériens et le monde entier ont observée dimanche dernier lors des funérailles de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, décédé le 17 septembre courant, a suscité de nombreux questionnements légitimes.
Comment Abdelmadjid Tebboune a-t-il accepté à ce point que la fonction présidentielle soit soumise de façon aussi manifeste à l’armée? En débarquant au cimetière d’El Alia à Alger dans une voiture présidentielle, avec, à ses côtés, le chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha, Tebboune a exhibé aux yeux de tous qu’il était un chef d’Etat de pacotille. Même les règles protocolaires les plus élémentaires ont été violées en la circonstance. En plus, contrairement à son prédécesseur Ahmed Gaïd Salah, qui cumulait la fonction de chef d’état-major avec celle de vice-ministre de la Défense, Chengriha n’a pas de fonction politique, ce qui accentue l’assujettissement de la chose politique au pouvoir militaire.
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Au demeurant, ce n’est pas la première fois que Chengriha se comporte de façon humiliante envers Tebboune, en partageant publiquement avec lui ses activités régaliennes. Le 2 juin dernier, le duo Tebboune-Chengriha s’était ainsi rendu au chevet du chef du Polisario, Brahim Ghali, quelques heures seulement après son retour forcé d’Espagne où il se soignait en catimini d’une grave contamination au Covid-19. Lors de cette visite, même si c’est Tebboune qui a pris la parole, il n’a pas manqué de déclarer au chef du Polisario: «Moi et le général (Chengriha, Ndlr), nous sommes contents que ton état de santé se soit amélioré... Notre visite est un devoir».
A l’exception du magistère chaotique de Tebboune, jamais un président algérien ne s’est montré aussi effacé face aux généraux. Même si les généraux algériens ont toujours été les vrais détenteurs du pouvoir, ils l’ont toujours exercé en tirant les ficelles dans l’ombre. La junte militaire a toujours dirigé l’Algérie depuis le coup d’Etat de Houari Boumédiène, en 1965, mais elle a toujours veillé à montrer en façade un pouvoir civil.
La dernière démonstration de force de Chengriha rompt avec la discrétion jusqu'ici observée par les généraux. L’omniprésence, voire l'omnipotence, du général Chengriha, qui s’affiche le plus souvent devant les caméras en tenue de combat, a aussi pour objectif de terroriser les Algériens.
Après avoir envoyé en prison et condamné à de lourdes peines tous ses concurrents au motif d’être corrompus, aussi bien parmi les généraux que les hommes politiques ou d’affaires, Chengriha sème aujourd’hui la terreur parmi les militants du mouvement populaire du Hirak, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme, sans oublier cette quasi-épuration ethnique qu’il mène aujourd’hui contre les originaires de la région kabyle, sous prétexte de lutter contre le séparatisme.
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Cette vague de répression ne cesse de prendre de l’ampleur, surtout que le régime algérien a mené le pays au bord de la faillite et donc d'une l’explosion sociale, à cause de la dégradation sans précédent du pouvoir d’achat de la population et des dévaluations successives du dinar, désormais qualifié par les Algériens de monnaie de Monopoly.
En effet, l’Algérie est aujourd’hui prise dans l’engrenage d’une dangereuse spirale, dont le cocktail explosif est formé par des prix des denrées de première nécessité qui s’envolent, alors que le dinar dégringole, que l’inflation est passée du simple au double et que les salaires, déjà très bas pour leur écrasante majorité, stagnent.
Quand l’eau, le pain, la farine, l’huile, les lentilles, les légumes, les viandes blanches comme rouges… et même l’oxygène manquent, on comprend dès lors les raisons de la grande évasion actuelle des Algériens, qui débarquent ces jours-ci par centaines sur les côtes européennes.
De vendredi à lundi derniers, soit en l’espace de 72 heures seulement, pas moins de 1 500 clandestins algériens, à bord de plusieurs dizaines de pateras, ont débarqué sur les côtes espagnoles d’Almeria, Murcia, Alicante et dans les îles Baléares, sans parler d'un nombre de morts non comptabilisé, dont les corps continuent à échouer sur ces mêmes plages de l’autre rive de la Méditerranée.
Cette situation dramatique que vivent les Algériens est due à une seule cause: la corruption des généraux qui ne comptent pas se départir de leur boulimie pour sortir leur pays de la crise multidimensionnelle qui le gangrène et l’impéritie endémique de ceux qui gèrent les affaires du pays.
Le régime algérien est incapable de faire face à une crise structurelle à tous les étages. Ce régime semble avoir acté une impasse et son impuissance à trouver des solutions. Du coup, pour prolonger sa survie, il a recours à la terreur des Algériens par des arrestations massives et arbitraires et à la diversion par l’alimentation de l’épouvantail d'une «main extérieure».
Que Abdelmadjid Tebboune se comporte en président de façade face à des généraux sans foi ni loi, cela se comprend. Car il faut dire qu’il n’avait le choix qu’entre être un président docile jusqu’à l’humiliation, ou devenir un pensionnaire de la prison d’El Harrach, comme plusieurs ministres de Bouteflika.