Les faits qui vont être décrits ici ne peuvent se dérouler nulle part ailleurs sur Terre. Nulle part, sauf dans cette «Algérie nouvelle», la douce sérénade que chante le duo Tebboune-Chengriha. Dans quel autre pays au monde un ministre peut-il se soustraire aux lois régissant la hiérarchie administrative et la solidarité gouvernementale, pour se soumettre aux ordres d’un général de l’armée sans en référer au Premier ministre ou au chef de l’Etat? Dans quel autre pays, le patron du pôle public des chaînes de télévision fait interrompre les programmes pour diffuser une fausse information, relative à l’arrestation d’un escroc à Chypre? Comment cela a-t-il pu se produire? Ce ministre a reçu un appel, via l’application Whatsapp, d’un jeune homme de 22 ans à peine, qui s’est tout simplement fait passer pour le général Chouiter, le patron de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA).
Par ces tours joués à des ministres et hauts responsables algériens -car il a usurpé l'identité de ce haut gradé algérien à plusieurs reprises-, ce jeune homme de 22 ans, qui opérait depuis l’étranger, a révélé la vraie nature de son pays, où le président de la république, ses ministres et d'autres hauts fonctionnaires civils de l’Etat ne sont que les subalternes des vrais détenteurs du pouvoir: la mafia des généraux de l’Armée nationale populaire (ANP) qui dirige d’une main de fer le pays depuis son indépendance, en 1962.
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Fort d'un riche carnet d’adresses, et de sa connaissance des rouages de la mafia militaire algérienne, Yacoub Belhasni a réussi, depuis ses deux lieux d'exil, en Grèce puis dans l'île de Chypre, à mettre au pas plusieurs hauts responsables algériens, dont des ministres, des walis, des ambassadeurs, des consuls… Le tout, en se faisant passer, à l’autre bout du fil, pour un puissant général de l’armée algérienne.
Se présentant le plus souvent comme le chef de l’un des services de renseignements locaux, Yacoub Belhasni a contacté un certain nombre de ministres actuellement en exercice, des soumis patentés, obéissant aux moindres desiderata des hauts gradés de l’armée. Parmi les victimes de ce vrai usurpateur, il faut compter le ministre du Commerce, Kamel Rezig, ou celui de la Communication, Mohamed Bouslimani, qui ont subi un vrai savon au téléphone de la part ce faux général. Une communication qui les a littéralement terrorisés, à tel point qu’ils n’ont pas été à même de se rendre compte du piège dans lequel ils sont très piètrement tombés.
Pourtant, les médias du service public algériens avaient déjà alerté, dès juillet dernier, sur ces faits étranges qui se déroulaient dans ces sphères gouvernementales, en mettant dûment en garde contre les agissements du jeune Yacoub Belhasni (22 ans), prétendu être un repris de justice et un escroc qui «usurpe des fonctions civiles et militaires» dans le but d’extorquer des sommes d’argent à de hauts responsables algériens.
Une forte mobilisation des services de renseignements algériens a même été décrétée en vue d’extrader ce jeune «escroc».
Tout a commencé en juillet 2022, quand un appel à témoin a été lancé par le tribunal de Bir Mourad Rais (dans la banlieue sud d’Alger), au cours duquel il a été demandé à toute personne victime d'une tentative d’extorsion de fonds de la part de Yacoub Belhasni de porter plainte contre ce présumé escroc pour qu’il puisse être légalement poursuivi et jugé.
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Deux mois plus tard, une dépêche de l'agence de presse du pays, Algérie presse service (Aps), datée du 12 septembre 2022, a annoncé que Yacoub Belhasni, «poursuivi par la justice pour de graves affaires d'escroquerie, dont ont été victimes d'anciens ministres, des personnalités politiques et des diplomates, continue dans ces pratiques criminelles depuis la Grèce, pays qu'il a rejoint clandestinement».
Il est donc désormais clair, comme l’ont laissé entendre beaucoup d’analystes algériens, que le jeune Yacoub Belhasni, qui a peut-être été un agent des renseignements algériens avant de fuir pour l’Europe, a fidèlement dupliqué, à son profit personnel, des pratiques qui ont cours dans les hautes sphères du système militaro-politique algérien.
D’ailleurs, par ses agissements, Yacoub Belhasni serait à l'origine de la nomination récente par Abdelmadjid Tebboune de plusieurs walis et directeurs de départements, mais aussi d’ambassadeurs et de consuls, suite à des contacts téléphoniques entre ce faux général et le ministre de l’Intérieur, ainsi que celui des Affaires étrangères.
Mais le fait le plus rocambolesque dans l’affaire de ce faux général est encore à venir: Yacoub Belhasni s’est substitué, les 26-27 octobre dernier, au général Abdelaziz Nouiouet Chouiter, nommé en septembre dernier en tant que nouveau chef de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA). Le jeune homme de 22 ans a signé au nom de ce général, dans un document pourvu de l'en-tête du ministère de la Défense et de la DCSA, un communiqué adressé par WhatsApp au directeur de la télévision publique algérienne (ENTV), annonçant qu’il a été arrêté à Chypre, au cours d’une opération conjointe entre les services secrets algériens et chypriotes. Le jeune homme a donc organisé sa fausse arrestation, qui a été diffusée sur l'ensemble des chaînes du service public du pays... Et le lendemain, il dévoilé le pot-aux-roses, en allant poster sur les réseaux sociaux l'enregistrement de l’entretien téléphonique au cours duquel il avait usurpé l'uniforme d’un général de l'armée, pour donner des ordres au directeur de l’ENTV.
On aurait pu penser que les ministres algériens et les hauts responsables allaient redoubler de vigilance, après la révélation de cette énorme farce. Mais c’est là mal bien connaître l’emprise de l’armée sur les dirigeants civils en Algérie. Car dès le lendemain, Yacoub Belhasni s’est à nouveau présenté comme étant le général Chouiter pour s’en prendre, cette fois-ci, au ministre de la Communication, Mohamed Bouslimani, et exiger des explications immédiates sur la bourde de la télévision algérienne. Une communication qui a également été diffusée sur les réseaux sociaux.
Résumé: voilà un jeune qui organise sa fausse arrestation, annoncée comme une breaking news sur les chaînes algériennes. Le lendemain, il se fait passer pour un général, et sermonne le ministre algérien de la Communication pour avoir laissé passer une fake news.
Les «farces» de ce jeune homme auraient bien prêté à rire, si elles n’étaient pas révélatrices de la terreur qu’inspirent les généraux en Algérie. Une terreur qui semble paralyser ses habitants, et installe une monstrueuse anomalie dans l’ordre social, politique et économique de tout un pays.