Mohamed Benattou, que le président algérien a limogé en début de semaine, est pourtant le meilleur ambassadeur que l’Algérie ait jamais accrédité en Mauritanie. La preuve, c’est que durant les trois années qu’il a passées à Nouakchott, il a parfaitement exécuté la partition cacophonique que la diplomatie algérienne a l’habitude de jouer où qu’elle se déploie. Une diplomatie dont l’objectif n’a jamais été de servir les intérêts de l’Algérie, mais de s’attaquer à ceux du Maroc. Mohamed Benattou n’est-il pas ouvertement allé en guerre contre la presse mauritanienne qu’il a trouvée trop «pro-marocaine», au point de l’accuser, dans un communiqué officiel de son ambassade daté du 17 janvier 2023, de servir les intérêts d’un «État ennemi» de l’Algérie?
La riposte des journalistes mauritaniens, qualifiant le communiqué algérien de «stupide» et son signataire d’«idiot», remit Benattou à sa place en lui expliquant qu’«il est clair que l’Algérie, qui est sous l’emprise des généraux de l’armée depuis des décennies, ne comprend pas que la Mauritanie lui soit supérieure en matière de liberté de la presse, des médias, de liberté d’expression, de respect des opinions. Ce sont des choses qui ne s’achètent pas, mais plutôt s’acquièrent, et les Mauritaniens les ont gagnées grâce à la longue lutte de leur presse contre l’oppression, l’autoritarisme, la dictature, la soumission et l’emprisonnement.»
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En novembre dernier, Mohamed Benattou, qui a piloté la création d’une association réunissant d’anciens étudiants mauritaniens diplômés des universités d’Algérie, a fini par tenter de transformer cette dernière en think tank. Il lui a ainsi choisi, il y a quelques semaines, comme thème de débat «Novembre, mois de la révolution algérienne et de l’indépendance de la Mauritanie», cette dernière étant fêtée chaque 28 novembre. La tentative de décocher une flèche vers le Maroc est claire, car ce débat aurait dû être élargi pour englober l’indépendance du Maroc (18 novembre), la Marche verte (6 novembre), la sécurisation définitive du passage d’El Guerguerat entre la Mauritanie et le Maroc (13 novembre), les Accords de Madrid marquant la décolonisation du Sahara (25 novembre).
Benattou est également celui qui a affirmé à la mi-novembre dernière que l’Algérie est devenue le premier partenaire économique africain de la Mauritanie. Une façon de dire que son pays aurait évincé le Maroc de cette pole position, que le Royaume occupe au demeurant toujours. Mohamed Benattou a donc tout fait, plus que tout autre ambassadeur algérien à Nouakchott, en vue d’y supplanter le Maroc. Pourquoi alors ce serviteur plus que zélé de la marocophobie du régime d’Alger a-t-il été brusquement limogé? En réalité, par ce geste, le régime algérien a voulu sanctionner indirectement la Mauritanie.
Il s’agirait, ni plus ni moins, d’un rappel d’ambassadeur déguisé, en prévision d’un changement majeur dans la position de la Mauritanie sur le dossier du Sahara. En effet, choisir un chargé d’affaires pour remplacer un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire est un message clair dans la pratique diplomatique. En effet, le chargé d’affaires est un poste qui sert à remplacer provisoirement un ambassadeur en attendant la nomination de son successeur. Une nomination qui prend du temps, car elle suit une longue procédure.
Amin Abderrahmane Saïd, qui vient d’être nommé à la place de Benattou, est l’ancien chargé d’affaires à l’ambassade algérienne au Caire où il a remplacé pendant plusieurs mois Hassan Rabehi, le célèbre ambassadeur qui a été débarqué par Tebboune en juin dernier, un jour seulement après avoir remis ses lettres de créance aux autorités égyptiennes. Le choix de ce diplomate de second degré, et dont la mission pourrait être durablement provisoire, est «une mise en garde», comme a l’habitude de le dire le régime algérien colérique, contre la Mauritanie.
Ce rappel n’est pas étranger à la récente rencontre entre le roi Mohammed VI et le président Ghazouani, à Casablanca, que nombre d’observateurs ont vu comme étant le prélude à d’importants changements dans la sous-région, et que le régime d’Alger appréhende avec de fortes craintes de voir la Mauritanie changer radicalement sa position en soutenant ouvertement le plan marocain d’autonomie au Sahara. Un tel changement, très prévisible d’ailleurs, sera un coup fatal pour l’appareil militaro-politique algérien. En effet, depuis plusieurs années, voire des décennies, la diplomatie maghrébine de l’Algérie a été constamment bâtie sur la réalisation d’un seul objectif: couper le Maroc de sa profondeur africaine.
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Après l’échec de la création d’un État croupion entre les deux voisins du Maghreb Atlantique, l’actuel régime algérien a concentré tous ses efforts sur la Mauritanie en vue d’en faire un «État-barrière» entre le Maroc et l’Afrique. Au détour des quatre invitations et visites que le président mauritanien a effectuées en Algérie et les visites successives à Nouakchott du chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Said Chengriha, et du président Abdelmadjid Tebboune lui-même, les autorités mauritaniennes n’ont jamais accepté que leurs relations avec Alger se fassent au détriment du Maroc.
Malgré des accords commerciaux en vertu desquels l’Algérie s’est engagée à importer annuellement des quantités importantes de minerai de fer et du poisson frais mauritaniens, avec à la clé une balance commerciale largement bénéficiaire au profit de la Mauritanie, sans parler de la construction, aux frais de l’Algérie, de la route Tindouf-Zouerate, la Mauritanie a fait de ses relations avec le Maroc une ligne rouge que le régime algérien ne doit, à aucun prix, dépasser.
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Deux exemples illustrent cette fermeté et ce refus de la Mauritanie de se laisser entraîner dans les pérégrinations anti-marocaines du régime algérien. Le 2 février 2024, le président mauritanien s’est rendu directement à Tindouf où il a été reçu par le duo Tebboune-Chengriha. L’agenda officiel de cette visite était le lancement des projets d’une zone de libre-échange entre les deux pays et celui de la fameuse route Tindouf-Zouerate. Sauf que les dirigeants algériens voulaient que Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, qui venait juste de prendre la présidence tournante de l’Union africaine, se rende en visite dans les camps sahraouis de Lahmada. Ce qu’il a catégoriquement refusé, au même titre qu’il a écarté de son agenda toute rencontre avec le chef du Polisario, Brahim Ghali.
L’autre exemple, encore plus significatif, du refus de la Mauritanie de brader ses relations avec le Maroc, est celui du rejet par Ghazouani de la création de tout cadre maghrébin d’où serait exclu le Maroc. Le 2 mars 2024, alors qu’il était venu à Alger pour assister au 7ème sommet des pays producteurs de gaz, il a zappé la rencontre algéro-tuniso-libyenne qui se voulait une tentative de créer un nouveau cadre maghrébin à trois États, malgré les réserves de la Libye. Le limogeage de l’ambassadeur d’Algérie en Mauritanie marque les limites de la politique résolument anti-marocaine du régime d’Alger. Son échec aussi.