Je fais partie de ces Marocains qui ont un faible pour l’Espagne. Je ne suis ni un fan du Barça ni celui du Real Madrid. J’aime simplement ce pays, son architecture, surtout celle laissée par nos ancêtres en Andalousie, sa cuisine, sa littérature (de Cervantès à Juan Goytisolo en passant par Arturo Perez-Reverte), ses peintres (de Velásquez, Goya jusqu’à Miro et Picasso, qui n’a jamais réussi à obtenir la nationalité française), ses musiciens et chanteurs (de Pablo Casals à Placido Domingo), son cinéma (de Luis Buñuel à Carlos Saura), etc.
Et puis c’est un peuple qui nous ressemble un peu, même s’il est attaché au souvenir d’Isabelle la Catholique, artisane de la Reconquista en 1492 qui a obligé les juifs et les musulmans à se convertir ou à quitter l’Espagne.
Son colonialisme était misérable. Le départ des troupes de Franco de nos provinces sahariennes avait été bâclé et nous a causé, depuis, les problèmes que l’on sait avec notre voisin de l’Est.
J’étais à Séville pour intervenir dans un colloque organisé par CajaSol autour de l’immigration. Son titre est tout un programme: «l’Espagne, frontière de l’Europe». J’ai demandé à ce qu’on rectifie ce titre en précisant qu’aujourd’hui, c’est le Maroc qui est la frontière de l’Europe.
Qu’importe, des spécialistes, des sociologues, des historiens et même des hommes et femmes politiques sont intervenus. Il y avait en particulier un général de la Guardia Civil venu raconter son expérience face aux tentatives des migrants de forcer l’entrée de Sebta ou de Melilla.
Le général, un brave homme, certainement bon père de famille, parlait de ce qu’il a vu et entendu. Il a fait une révélation: l’immigration clandestine est devenue une industrie de trafic de drogues!
Ce qui est certain, c’est qu’une mafia gère les traversées à partir de pays africains et cette mafia est criminelle, car elle envoie à la mort quasi certaine des milliers d’hommes et de femmes vers une traversée très douteuse, vu que la surveillance du détroit de Gibraltar est de plus en plus efficace, opérée par les deux polices, marocaine et espagnole. Quant à la drogue, on sait que certaines embarcations de migrants servent avant tout à faire passer la drogue en Europe. On a toujours affaire à une Mafia.
Tout en ayant l’air de plaisanter, j’ai dit «si vous ne voulez plus avoir de problèmes avec les migrants, rendez-nous Sebta et Melilla, deux villes marocaines» occupées par l’Espagne depuis cinq cents ans. Ils n’ont pas rigolé. J’ai ajouté: ce sera une opération donnant donnant; l’Angleterre vous rétrocède Gibraltar et vous, vous nous rendez nos deux villes qui vous causent tant de soucis.
Certains ont ri. D’autres ne comprenaient pas cette hypothèse symétrique et pourtant plausible. C’est ce que disait feu le roi Hassan II.
J’ai rappelé que l’immigration légale ne pose pas de problème. En revanche, celle clandestine n’est pas simple à gérer ni à accepter. Pourtant, tout le monde sait que des entreprises ont recours aux «sans-papiers» pour les payer moins et les menacer de renvoi à la moindre contestation.
Le soir, j’ai dîné avec l’ancienne ministre de la Culture, Carmen Calvo, socialiste, et Jesus Vigorra, le journaliste de Canal Sur qui a modéré les rencontres. Carmen n’a pas tari d’éloges sur le Premier ministre Sanchez et m’a assuré que les socialistes gagneront les élections législatives de novembre prochain. Sous-entendu: rien ne changera dans les nouvelles bonnes relations avec le Maroc.
Il fut un temps, pas si lointain, où l’on considérait que l’Europe s’arrêtait aux Pyrénées. Aujourd’hui, l’Espagne est européenne avec force et détermination. Il y règne une paix sociale. La retraite est fixée à 67 ans. Cela ne pose aucun problème. Rien à voir avec la situation ubuesque de la France. D’ailleurs, mes hôtes ne comprennent pas ce qui se passe chez leur voisin du Nord ces jours-ci.
Entre-temps, j’ai eu la joie de revisiter les superbes monuments construits par nos ancêtres. Il y avait beaucoup de touristes. On leur offrait des fleurs, car c’est le début du printemps et la Journée de la poésie.
Tout cela fait plaisir à voir. Plus que jamais, nous devons renforcer nos liens avec ce pays, avec sa culture et son voisinage. Ils sont bienveillants. Plus rien à voir avec M. Aznar, ancien Premier ministre appartenant au PP (Parti populaire) qui a failli nous déclarer la guerre en juillet 2002, à cause du drapeau marocain érigé sur la petite île de Persil (Leila). J’ai demandé de ses nouvelles. On m’a répondu qu’il n’existe plus sur la scène politique. Quelqu’un a osé suggérer qu’il aurait reçu de la part de George W. Bush pas mal de dollars pour son appui à l’intervention criminelle de l’Irak en 2003. Pas de preuves. Mais il n’a pas laissé dans la mémoire des Espagnols un souvenir impérissable.
Il a été le pire Premier ministre qu’a eu l’Espagne.
L’Association des «Trois cultures», installée dans les locaux que le Maroc avait construits pour l’Exposition universelle de 1992 à Séville, est très dynamique. Elle est très attachée à la culture marocaine et la célèbre souvent. Ce petit palais est bien entretenu. C’est une présence marocaine permanente et c’est beau à visiter.
Tout cela pour vous dire que, s’il y a un pays dont on doit cultiver et renforcer l’amitié, c’est l’Espagne. C’est un voisin qui considère cette amitié importante et fondamentale. Car nous avons tant de choses en commun en dehors de l’histoire et de l’excellente huile d’olive.