Enseignant à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et à la faculté de théologie de Paris, qui mieux que le Franco-marocain Rachid Benzine, né en 1971 à Kénitra, peut parler objectivement, sans amalgame ni haine, de la problématique de l’islam de France?
Nommé membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement que le roi Mohammed VI a récemment installée, Rachid Benzine a décliné sa vision de l’islam dans son pays d’accueil à travers une interview accordée, pour son numéro de janvier, au mensuel BAB magazine édité par l’agence Maghreb arabe presse (MAP).
Tout d’abord, Rachid Benzine décrit une France en perte de puissance et gangrenée par un fort taux de chômage dont pâtissent en premier lieu les citoyens issus de l’immigration, et particulièrement la frange d’origine arabo-musulmane. Pire, cette catégorie, essentiellement formée de «musulmans ordinaires», est victime de l’actualité mondiale qui l'assimile à certains coreligionnaires d’autres contrées impliqués dans des actes de terrorisme. Ce qui crée chez leurs concitoyens français de souche un sentiment d’«islamo-anxiété», précise Rachid Benzine, sentiment qui génère à son tour haine, islamophobie et un amalgame sciemment entretenu par les hommes politiques. Ainsi, le ministre de l’Intérieur français, Christophe Casataner, a expliqué devant les députés de l’Assemblée nationale que le fait d’avoir une barbe ou d’observer avec assiduité le jeûne du Ramadan constituent des signes de radicalisation islamiste.
De même, Rachid Benzine rappelle qu’il a été obligé de réagir, à travers une tribune publiée dans les colonnes du journal Le Monde, aux propos, qu’il qualifie de «Maccarthysme musulmanophobe», attribués au président français himself, Emmanuel Macron, qui a appelé les Français à «faire preuve de vigilance en face des menaces que fait peser le terrorisme se réclamant de l’Islam».
Cet état de fait s’explique aussi quand on sait que la loi de 1905 sur la laïcité et la séparation Etat-religion a été conçue sans prendre en compte l’Islam, qui relevait alors de l’indigénat accolé aux peuples musulmans des colonies. Même si, dans l'esprit comme dans la lettre, cette loi signifie qu’il n’y a pas de religion d’Etat en France et qu’aucune religion ne doit non plus être persécutée ou favorisée par l’Etat, cela n’a pas toujours été le cas au niveau pratique. Ainsi, les églises en France sont en grande majorité propriété de l’Etat, qui les soutient financièrement. Ce qui n’est pas le cas pour les lieux de culte musulman dans la République laïque, censée veiller à l’égalité entre tous ses citoyens, sans la moindre distinction de religion ou autre.
Pourtant, malgré une société française qui rejette majoritairement et absolument toute influence religieuse, ce favoritisme de l’Etat au profit de l’église n’a pas empêché le christianisme de décliner en France, comme partout en Europe, a contrario de l’islam qui y a fait preuve d’un certain dynamisme. Ce qui a constitué une autre source d’exacerbation de la phobie de l’islam.
Surtout que, comme l’a démontré la récente manifestation (relativement bien réussie) contre l’islamophobie en France, on a vu les organisateurs commettre nombre d’erreurs: présence de courants identitaires musulmans trop affirmés, alliance entre ces courants identitaires et la gauche radicale anticléricale… Ce qui fait que les «musulmans, trop souvent enfermés dans leurs propres peurs, ne sont pas conscients des peurs des autres à leur égard, et ils n’ont pas le souci d’en discuter paisiblement avec eux».
Une façon pour l'auteur d'«Ainsi parlait ma mère» de dire que la responsabilité du rejet de l’islam en France est partagée. En effet, si Eric Zemmour et Alain Finkielkrault sont les hérauts d’une campagne médiatique islamophobe permanente, alors qu’ils ne connaissent rien à l’islam, certaines personnes se réclamant de cette religion et n’y comprenant rien non plus professent des discours et conceptions biaisées de l’islam, favorisant ainsi le terrorisme chez les laissés-pour-compte de la république laïque.