En février 2013, Driss Radi, alors au faîte de sa carrière politique, avait défrayé la chronique. Dans l’enceinte du Parlement, où il présidait aux destinées du groupe de l’Union constitutionnelle, l’élu allait se livrer à un coup d’éclat resté dans les annales de la Chambre des conseillers. Au plus fort des débats, retransmis en direct sur la télévision publique, le député de Sidi Slimane soulève les pans de sa chemise pour dénuder son abdomen. Une manière de signifier à Abdelilah Benkirane, alors chef de l’Exécutif, qu’il n’avait pas de «Ajina dans le ventre», expression populaire pour dire qu’il n’avait rien à se reprocher.
Dix ans plus tard, le geste n’est plus vraiment d’actualité. Rattrapé par la justice, Driss Radi «a apparemment dans le ventre de quoi confectionner des beignets pour toute la ville de Sidi Slimane et sa région», ironise un de ses anciens amis.
Faux et usage de faux
Impliqué dans une affaire de faux et usage de faux, dans le but d’accaparer des dizaines d’hectares (83 hectares au total) de terres soualiyates, il a été entendu par la Brigade nationale de la police judiciaire, relevant de la Gendarmerie royale, sur la base d’une plainte du ministère de l’Intérieur, prenant elle-même origine dans un rapport de l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGAT).
Ayant «manqué» une première audience devant le tribunal de première instance, en présentant un certificat médical d’incapacité, il est convoqué par la Cour pour une nouvelle audience, fixée pour le 19 septembre. Avec l’obligation expresse de se présenter dans le box des accusés, faute de quoi ce sera la force publique qui se chargera de l’y placer.
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Driss Radi est poursuivi, en compagnie de son frère Karim, d’un auxiliaire d’autorité (Cheikh) et de sept représentants de bénéficiaires des terres soualiyates de la localité de Oulad Hanoune, dans la commune de Kceibya, fief historique du clan Radi.
Un taxi pour commencer
S’il a occupé tous les fauteuils électifs imaginables dans la province de Sidi Slimane, c’est à Salé que Driss Radi a vu le jour en 1935. Loin de se prévaloir d’un cursus académique comparable à celui de son illustre oncle, feu Abdelouahed Radi, il ébauche sa carrière littéralement à la force du poignet, comme conducteur de grand taxi sillonnant la région.
On s’en doute, ce n’est pas par la voie du volant que la famille Radi, habitant Sidi Yahia El Gharb, a réussi à construire une fortune que l’on dit colossale. À en croire le clan, celle-ci trouverait plutôt son origine dans l’activité de fourniture de bois à Cellulose du Maroc, principal fabricant de pâte à papier (qui a baissé le rideau en 2013).
Il est vrai que l’activité n’exigeait pas de compétence particulière: il suffisait de soumissionner aux appels d’offres de l’usine, et de lui fournir du bois coupé dans la région du Gharb, connue pour ses forêts d’eucalyptus.
La famille «Al Aradi»
Sauf que cela n’explique pas davantage comment Driss Radi s’est offert un strapontin dans le club fermé des milliardaires, fort d’un patrimoine comptant, entre autres, d’immenses terrains agricoles. À telle enseigne que la population locale a détourné le patronyme de la famille Radi, pour l’affubler du sobriquet d’«Al Aradi».
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Comme il est d’usage pour un notable rural, Driss Radi décide, dans les années 1980, d’entrer en politique. Avec un succès certain. Battant pavillon politique de l’Union constitutionnelle (UC), le voilà qui prend, grâce aux voix acquises de la tribu, la présidence du Conseil communal et celle du Conseil provincial de Sidi Slimane. Étape suivante: un siège à la Chambre des conseillers, et la tête de la chambre d’agriculture de Rabat-Salé-Kénitra.
Mieux que d’être réélu à tous les coups, Driss Radi est devenu l’architecte de la scène politique dans la région. Il impose ses poulains aux postes électifs stratégiques et combat, sans merci, ses rivaux politiques. «Il ne reculait devant rien. C’est quelqu’un qui, pour un oui ou pour un non, pouvait menacer de vous envoyer en prison», affirme un ancien cadre de l’UC.
Lors des élections générales du 8 septembre 2021, Driss Radi choisit, contre toute attente, de ne pas se porter candidat. De tensions en affrontement, la lune de miel entre lui et Mohammed Sajid, alors secrétaire général de l’UC, était arrivée à son terme. Le 12 octobre 2022, à titre de mesure disciplinaire, il est définitivement expulsé des rangs du parti du Cheval. Ce dernier lui reprochait de travailler contre les intérêts de la formation politique dont il avait été, il y a encore quelques années, le numéro 2. Les nuages continuent à s’amonceler dans le ciel de Driss Radi quand les poursuites judiciaires sont engagées contre lui. À 88 ans, il s’est retranché dans sa villa de Hay Riad, à Rabat, où il vit quasiment relus depuis des mois.
Toronto, Hay Riad… puis la prison d’El Arjat
La fortune de son rejeton, Yassine Radi, ne sera pas meilleure. Incarnation parfaite du «fils de», l’aîné de Si Driss n’a jamais connu les années de vaches maigres vécues par le père. Né en 1990 avec une cuillère d’argent dans la bouche, il cumulait les traits peu flatteurs du «Oueld Lefchouch»: frondeur, parfois bagarreur et amateur de «show-off» et de gros bolides.
Après un baccalauréat décroché en 2007, il met le cap sur Toronto, au Canada, d’où il revient deux années plus tard après d’incertaines études en commerce international. Qu’à cela ne tienne. Radi Junior a peu de soucis à se faire, les affaires de la famille étant plus que prospères. Et il s’emploie à les faire fructifier, en se lançant à son tour dans divers projets agricoles et dans l’exploitation des carrières de matériaux de construction.
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Sans surprise, en 2011, son père le place en position éligible sur la liste nationale de l’UC réservée aux jeunes. À 21 ans, Yassine Radi fait son entrée à la Chambre des représentants, où il rempile en 2016 puis en 2021. Mieux, en cette dernière année, il décide de cumuler le mandat de député avec celui de maire de Sidi Slimane. Le siège de trop?
Un rapport de l’IGAT pointe des dizaines de dysfonctionnements dans la gestion des affaires communales. Le gouverneur saisit le tribunal administratif de Rabat, qui décide de le déchoir de son mandat de président du conseil communal.
Un premier, puis un deuxième coup de massue
La décision de la justice administrative, prise le 15 mai 2023, n’est que le premier coup de massue. Une dizaine de jours plus tard, une soirée arrosée dans sa villa de Hay Riad se termine mal. Très mal. Yassine Radi s’y trouvait en compagnie d’amis, femmes et hommes, quand une violente dispute éclate entre deux des invités. Une jeune femme aurait essayé de quitter les lieux et serait ainsi tombée d’un balcon du second étage. Gravement blessée, elle est transportée au service des urgences d’une clinique de la ville. S’en suivra une enquête de police, soldée par une inculpation pour tentative d’homicide pour le maître de céans et deux de ses invités.
Le procès de Yassine Radi s’est ouvert le 7 juin dernier, avant que l’audience ne soit reportée à une date ultérieure. La liberté provisoire lui ayant été refusée, il est toujours incarcéré à la prison d’El Arjat. À quelques encablures de cette région du Gharb, qui avait jusqu’alors tout donné au clan Radi.