Certes, il travaillait pour BFM TV, mais à chacun ses défauts et nul n’est parfait. Cependant, le problème réside ailleurs. Son licenciement, les motifs mis en avant et surtout le timing sont plus que suspects, et suggèrent une possible ingérence politique. L’ombre de l’Elysée plane sur cette décision en apparence arbitraire, mais qui trahit des visées d’ordre diplomatique (Patrick Drahi). Mais cela n’inquiète aucunement le Parlement européen, trop occupé à fantasmer des répressions au Maroc et à voter des sanctions contre-productives ou au mieux stériles contre la Russie.
Le crime de Rachid M’Barki? Avoir prononcé dans la même phrase «Sahara» et «Marocain». Un crime abominable, vous en conviendrez, qui aurait mérité à une autre époque l’écartèlement. Plus sérieusement, du point de vue du droit, cela ne peut être qualifié que de «délit d’opinion» ou de crime d’arrière-pensée, comme durant l’époque stalinienne, puisqu’en plus de cette accusation fallacieuse, il serait nous dit-on également le relais d’une ingérence étrangère, comprenez le Maroc.
Le timing? Plus que suspect, puisque quelques jours seulement séparent sa suspension du vote de la résolution inique et calomnieuse du Parlement européen, où les parlementaires européens du fief macroniste «Renaissance» se sont distingués par un vote majoritaire contre le Maroc.
Affaire Pegasus, restrictions des visas, rapprochement sournois avec la junte d’Alger, l’affaire Rachid M’Barki pourrait être la goutte qui fera déborder le vase. Mais vu la patience et la ténacité de notre diplomatie, il en faudra beaucoup plus pour espérer pouvoir provoquer un faux pas.
Comme on dit, quand on dîne avec le diable, il faut manger avec une très longue cuillère. Il nous faut par conséquent adopter une vision plus stratégique, afin d’être à même de décrypter les motivations profondes derrière les récents revirements de Paris.
Entre les coups bas portés au Maroc et la danse du ventre devant la junte d’Alger, la France joue une partition qui ne semble pas faire partie du registre diplomatique habituel.
En apparence, Macron semble s’enfermer dans des calculs tactiques de très court terme, là où un chef d’Etat devrait s’élever au niveau stratégique, celui de la longue durée et des partenariats solides et éprouvés par le temps, comme celui qui lie la France au Maroc.
Mais il se pourrait, et j’insiste sur le conditionnel, que les motivations de Paris soient en réalité beaucoup plus complexes et pernicieuses que ne le laissent entrevoir ses récents agissements sur le terrain diplomatique.
La France a peut-être, dans une perspective autant réaliste qu’opportuniste, décidé de troquer l’Afrique contre l’Europe. Cela à un moment où l’Allemagne, qui jusque-là dominait effectivement le Vieux continent, semble vaciller et perdre pied au gré de l’évolution du conflit russo-ukrainien. Au même moment, la perte graduelle et irrémédiable de sa zone d’influence en Afrique de l’Ouest et au Sahel (Mali, Centrafrique, Burkina Faso…) a peut-être été définitivement actée par le Quai d’Orsay, et il a été par conséquent décidé de recentrer tous les efforts ailleurs, au cœur même de l’Europe.
Car jusqu’à très récemment, soit avant le départ d’Angela Merkel et l’enclenchement du conflit russo-ukrainien, il était habituel d’affirmer que le pivot et le vrai centre de décision au sein de l’Union Européenne étaient incarnés par le «couple franco-allemand». Une expression qui d’ailleurs n’existe qu’en France, et qui semble faire sourire les Allemands, conscients de leur supériorité objective et de leur centralité en Europe. Si ces derniers tolèrent que les Français fassent usage de cette expression, c’est avant tout par courtoisie et diplomatie.
Oui, Berlin dominait l’Europe, autant au niveau de la politique monétaire de l’UE qu’au niveau industriel, commercial et institutionnel.
Cependant, l’Allemagne perdit coup sur coup chacun de ces attributs de puissance. Au niveau monétaire, la nomination de la Française Christine Lagarde à la tête de la BMCE et la mise en place d’une politique monétaire expansionniste durant la parenthèse Covid, furent en quelque sorte le coup de grâce porté à l’orthodoxie monétaire, longtemps imposée par Berlin.
Au niveau industriel et commercial, par-delà l’excellence allemande et ses fondements culturels, c’est avant tout l’accès à une énergie bon marché, le gaz et le pétrole russe, qui fondait en grande partie la compétitivité de l’économie allemande. Or, les pressions exercées par Washington sur Berlin, ainsi que le sabotage des pipelines Nord Stream 1 et 2, ont abouti à une rupture profonde des relations entre l’Allemagne et la Russie, privant ainsi l’économie allemande d’une manne énergétique irremplaçable. Par conséquent, au moment où l’industrie allemande subit une inflation de plus de 30% pour les intrants en raison de la cherté du gaz naturel liquéfié (GNL) vendu à prix d’or par Washington, la France peut compter sur son énergie nucléaire, qui représente 70% du total de la production électrique du pays. Et ce, contrairement à l’Allemagne, qui s’est amputée pour des raisons idéologiques et politiques de son potentiel nucléaire électrique.
Dans ce contexte, mettre la main sur le gaz algérien représente pour la France une occasion de prendre définitivement l’ascendant sur le plan énergético-économique sur l’Allemagne.
Souveraineté nucléaire et gaz bon marché constituent les deux piliers d’une nouvelle stratégie française, qui vise avant tout à détrôner l’Allemagne au sein de l’Europe, en l’enclavant énergétiquement.
Ainsi, tandis que Scholz se soumet à la pression américaine en acceptant de livrer des chars Léopard à l’Ukraine, crime impardonnable pour Moscou pour des raisons historiques évidentes (2e Guerre mondiale), Macron continue d’échanger par téléphone régulièrement avec Poutine, entretenant ainsi la possibilité d’une relance des relations diplomatiques et économiques avec Moscou, après la fin du conflit.
Un repli stratégique en Afrique combiné à un redéploiement au cœur d’une Europe en crise constituent peut-être les deux nouveaux piliers de l’élite politico-économique française.
Les failles stratégiques de cette possible nouvelle doctrine sont importantes, mais elles seront abordées dans le cadre d’une future chronique, puisque le principal gagnant en Europe à la fin de ce conflit risque probablement de ne pas être européen mais américain, comme en 1945. Car tandis que Washington livre une guerre militaire par procuration à la Russie, elle mène en même temps une guerre économique et technologique à l’Europe. Mitterrand les avait pourtant mis en garde peu de temps avant de mourir. Mais que valent les paroles d’un mourant devant le sourire d’un banquier?
En attendant, la nature n’aimant pas le vide, un vase communicant semble s’être mis en place, puisqu’au moment même où nos relations avec la France se dégradent, celles avec l’Espagne semblent prendre de plus en plus d’ampleur.
Notre environnement géopolitique immédiat semble se redessiner pour le meilleur comme pour le pire, et comme nous l’avons démontré à chaque fois, nous arriverons à nouveau à en sortir grandis, n’en déplaise à nos ennemis.