L’Italie entretient un complexe d’infériorité à l’égard de ses voisins européens de premier plan. Cela est dû à une histoire récente tourmentée: unification laborieuse et tardive (1871), manque de considération rencontrée lors du Congrès de Berlin (1878), refus des pays européens de la faire bénéficier de l’expansion coloniale (Conférence de Berlin 1884), humiliation de son armée par les Autrichiens lors de la Première Guerre Mondiale, alliance politique et militaire du régime fasciste italien avec l’Allemagne nazie et défaite lors de la Seconde Guerre Mondiale. C’est conscient de ce lourd passif que Alcide De Gasperi, président du Conseil de la jeune République d’Italie après 1945, s’était présenté devant ses pairs européens en demandant «une seule chose: leur amitié» pour construire le futur ensemble.
Après 1945, l’Italie est devenue passionnément atlantiste et europhile, et modérément méditerranéenne. Elle s’est mise sous le parapluie nucléaire américain en rejoignant l’OTAN et en mettant à leur disposition plusieurs bases militaires sur son territoire, dont la plus importante, celle de Naples, accueille la VIème flotte de l’US Navy, gagnant au passage le qualificatif de porte-avions de l’OTAN en Méditerranée.
Côté européen, elle a été de toutes les initiatives de construction de cet ensemble depuis le début. Zèle du fautif? C’est en tout cas ce qui semble avoir été retenu par ses voisins. Malgré de bonnes performances économiques -c’est la troisième économie de l’Union européenne- elle n’a jamais pu intégrer l’axe franco-allemand et prétendre à un quelconque leadership. Même chose pour la Méditerranée, où ses tentatives «timides» d’influencer le cours des choses ont rencontré une concurrence acharnée de la France et de l’Espagne.
Ce qui se dégage de la lecture de l’histoire de l’Italie depuis 1945, c’est le renoncement à marquer de son empreinte, à acquérir un rang avancé dans la communauté internationale. Malgré une forte présence dans les organismes multilatéraux, où ses contributions financières sont conséquentes, le soutien à l’intervention américaine en Irak et une présence symbolique au Sahel, l’Italie demeure un pays beaucoup plus préoccupé à l’intérieur par ses crises gouvernementales à répétition, la fragilité de ses finances publiques, son fort taux d’endettement (158% du PIB) et à l’extérieur son souci de vendre ses produits manufacturés aux autres pays. Son économie constituée de millions de Petites et Moyennes Entreprises a besoin d’exporter pour survivre. Cette contrainte, commerciale, est devenue au fil du temps le principal moteur de la diplomatie italienne, les amitiés se font et se défont, gagnent en intensité en fonction du niveau des échanges commerciaux. Nous disons bien «échanges commerciaux», car les entreprises italiennes dans leur écrasante majorité son adeptes du «touch and go»; elles abordent un marché pour vendre, non pas pour investir. L’Italie investit peu à l’extérieur durablement.
Cette logique commerciale a été poussée à son paroxysme ces dernières années, conséquences de la crise Covid aidant, lorsque l’Italie a rejoint le programme chinois «route de la soie» et a même envisagé la cession à ces mêmes Chinois de deux importants ports italiens, provoquant l’ire des alliés américains et européens. Aux dernières nouvelles, l’Italie a reporté le projet.
Dans le même état d’esprit, nous avons eu l’occasion de constater ces derniers mois une multiplication des visites de responsables italiens de haut rang en Algérie, devenue fréquentable, pour son gaz. Faisant peu cas de l’attitude inamicale de cette dernière à l’égard de l’Espagne et du Maroc, vieil ami, l’Italie achète du gaz algérien en quantité pour remplacer le gaz russe et promet des investissements industriels. Gageons que sur les investissements promis, seuls seront réalisés ceux qui assureront un retour sur investissement élevé avec la perspective d’un retrait rapide du pays. Pour le gaz, l’Italie tournera casaque aux premiers signes d’accalmie avec la Russie, marché plus important pour les entreprises italiennes.
Cette culture du «touch and go» n’a pas que des retombées positives, elle empêche le développement de partenariats durables entre les économies. L’Italie a été présente, comme investisseur, dans plusieurs secteurs économiques au Maroc au début des années 60. Elle pouvait réaliser de belles choses avec nous. A défaut de continuité, elle a été dépassée par la France et l’Espagne.
A ses amis qui lui reprochent un «manque de visibilité» de sa diplomatie, l’Italie, à travers la voix de ses responsables, renvoie au modèle allemand. L’Allemagne aussi a fait profiter ses PME de son pacifisme, ses amitiés éclectiques et ses accommodements. Il y a toutefois quelques nuances: l’économie allemande investit fortement à l’extérieur, peut tenir tête à ses alliés, assure le leadership économique et politique de l’UE et est en train de se réarmer.
Dans un monde où les idées souverainistes gagnent du terrain, où les confrontations se multiplient et les prises de partie sont inévitables, l’Italie est appelée, tel est le vœu de ses amis, à revoir ses positions diplomatiques afin de laisser plus de place aux valeurs universelles et ne pas être aveuglée par les intérêts commerciaux à court terme.