Non je n’irai pas voir l’inexpugnable Constantine perchée sur son rocher, là «où l’homme est plus haut que l’aigle», d’après les mots légendaires attribués à Constantin.
Je n’irai pas voir El-Eubbad près de Tlemcen, où repose Sidi Bou-Madyane depuis son berceau sévillan après s’être formé à Fès et abreuvé aux sources du mysticisme, au Moyen Atlas, auprès de Moulay Bou-Azza…
Je n’irai pas voir la vallée du Mzab et les Ksours ibadites mêlant architecturalement éthique et esthétique, Bejaïa et les grands massifs du Djurjura, Biskra, jadis sur la route des caravanes des pèlerins qui, parties du Maroc, se rendaient, en grossissant en chemin, vers les Lieux Saints…
Non, je ne peux visiter un pays à travers l’ornière d’une vision surannée, oublier les réalités politiques, les remous économiques, la grogne sociale lancinante, la haine de l’Autre inculquée comme exutoire et paravent, les pulsions de déstabilisation et de destruction orientées contre les voisins…
Le vice-Premier ministre malien, Abdoulaye Maïga, ne vient-il pas de dénoncer devant la communauté internationale, à la tribune des Nations unies, les ingérences de l’Algérie? Écoutons-le, il ne mâche pas ses mots: «En plus d’offrir le gîte et le couvert, certainement avec de succulents plats de chekchouka et de chorba, à des terroristes et à des renégats en débandade, son rôle d’estafette désorientée ne contribue guère à la promotion des relations de bon voisinage».
Le régime des caporaux, instigateur de tous les coups tordus, n’a-t-il pas ajouté, à son pantin croupissant de Tindouf, une prétendue «représentation du Rif», ouverte par ses soins sur les hauteurs d’Alger, en présence de trois pelés et un tondu faisant partie d’un groupement indépendantiste inconnu au bataillon?
Non, l’Algérie d’aujourd’hui ne me fait pas rêver.
Et ce n’est pas une simple question de réinstauration de visa d’entrée aux détenteurs d’un passeport marocain, présentés par les services de propagande officiels comme de potentiels «agents de renseignements sionistes», devant l’indifférence placide des politiques marocains et les railleries des populations dont l’Algérie est sans doute la dernière destination au monde au programme des visites, pour toutes les raisons évoquées, mais aussi parce que cela se saurait si elle était dans les tendances du voyage d’aujourd’hui.
Que l’on se souvienne du périple très commenté du globe-trotteur Antoine de Maximy, dans le cadre de son émission «J’irai dormir chez vous», diffusée sur la chaîne française RMC, marqué de bout en bout par une surveillance policière digne d’une caricature de l’ère soviétique et une chape de plomb sous la coupe de la nomenklatura.
«Dans cette logique d’escalade où l’agitation épidermique l’emporte sur la raison, on se demande quelle pourrait être la prochaine ignominie, en ayant une pensée pour les ressortissants marocains vivant en Algérie»
Comme toujours, ce sont les liens familiaux, tissés il y a un temps de part et d’autre des frontières, qui se trouvent affectés par ces mesures insensées d’entrave à la liberté et à la fluidité de circulation.
Au triste palmarès d’Alger, figure la fermeture, depuis 1994, des frontières terrestres avec le Maroc, qui avait été la cible, peu avant, de l’attentat terroriste de l’hôtel Atlas Asni, dans lequel sont impliqués des ressortissants algériens, commandités par qui on sait, devant le refus des autorités algériennes de collaborer dans l’enquête diligentée, poussant le Maroc à imposer un visa d’entrée aux Algériens, supprimé en 2004, alors que les frontières sont restées closes pour trois décennies successives et condamnées visiblement à le rester.
En août 2021, le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra annonçait la rupture, avec effet immédiat, des relations diplomatiques avec le Maroc, accusé dans un incroyable délire d’être impliqué dans les incendies meurtriers qui ont ravagé le nord du pays.
Le mois suivant, à l’issue d’une réunion du Haut Conseil de sécurité présidée par le chef de l’État, c’est l’espace aérien qui est fermé à tous les avions civils et militaires marocains. Après la terre et le ciel, il manquait la voie portuaire. Qu’à cela ne tienne!
Dostoïevski disait, dans «Les frères Karamazov»: «Ce n’est pas en enfermant son voisin (ou du moins, essayer d’enfermer dans ce cas de figure) qu’on se convainc de son propre bon sens».
Car de bon sens, il n’y en a point.
Vient donc l’interdiction formelle du transbordement par les ports marocains de toute marchandise destinée à l’Algérie, avant le piteux revirement, celle-ci ayant réalisé sans doute, après coup, les conséquences irréfléchies de ses décisions, impactant ici ses importateurs, le pouvoir d’achat de ses citoyens et écornant le peu de capital confiance qui subsistait auprès de ses partenaires économiques.
Dans cette logique d’escalade où l’agitation épidermique l’emporte sur la raison, on se demande quelle pourrait être la prochaine ignominie, en ayant une pensée pour les ressortissants marocains vivant en Algérie.
Comment oublier, même cinquante années après, la tragédie vécue par des dizaines de milliers de Marocains, expulsés manu militari d’Algérie, où ils sont nés pour une grande partie d’entre eux et où ils ont vécu en toute légalité, en une Marche noire orchestrée par Mohamed Boukharrouba, alias Houari Boumédiène, en réponse à la Marche verte?!
Alors, sans doute que dans une configuration normale, j’aurais trouvé enrichissant de programmer, dans le cadre d’une tournée culturelle et de rencontres livresques, des villes comme Oran ou Blida, Annaba ou Tizi Ouzou, rappeler les valeurs de fraternité qui ont marqué notre histoire, invoquer, au-delà de tous les clivages, la nécessité d’une vision commune susceptible de déboucher sur un projet de développement territorial, porteur de richesses et de stabilité…
Encore faut-il les entendre, de l’autre côté, les voix de raison dénonçant les basses manœuvres de division, si ce n’est pas possible de l’intérieur du pays, pour les raisons que l’on imagine, du moins dans la diaspora.
Pour toutes ces raisons, je n’irai pas à Alger.