Quelle est votre première réaction par rapport à la décision du Maroc de réintégrer l'Union Africaine? Pensez-vous que ce retour puisse infléchir les membres de l'Union Africaine sur la question du Sahara?
Dans un communiqué de l’Institut Mandela nous avons salué cette décision visionnaire du Maroc en ces termes «Cette journée mémorable (Mandela Day) coïncide avec le Sommet des Chefs d’Etats et de gouvernements des pays membres de l’UA à Kigali au Rwanda. L’Institut Mandela a décidé de consacrer les 67 minutes à la réflexion profonde de la construction africaine : de l’OUA à l’UA (1963 – 2016) pour rendre hommage aux Pères fondateurs et saluer le retour du Royaume du Maroc à l’institution panafricaine».
Le Maroc veut négocier son retour à la grande famille africaine sans condition. A long terme ce retour infléchira la position de l’UA sur la question du Sahara car les absents ont toujours tort. Pour le moment rien ne change car dans le discours d’ouverture du Sommet de la Présidente de la commission figure l’autodétermination du Sahara. On n’a pas encore changé de disque sur cette question.
Durant son absence de l'organisation, beaucoup de décisions ont été prises en sa défaveur. Pouvez-vous nous faire le bilan de ces 32 ans d'absence?
Le bilan est extrêmement négatif pour l’image du Maroc car il a été accusé sans pouvoir se défendre. Cela a favorisé le Polisario et ses soutiens auprès de l’Organisation.
La voix du Maroc n’a pas été entendue et ses propositions d’une large autonomie ont été rejetées sans être examinées sérieusement. Je me souviens que le Maroc refusait de participer à certains forums Africains avec les puissances partenaires de l’Afrique car le Polisario était invité à travers l’Union Africaine. Donc la diplomatie marocaine déployait ses énergies pour convaincre les partenaires de l’Afrique de ne pas passer par l’UA pour inviter les pays africains et proposer à ces puissances d’inviter elles-mêmes les pays individuellement pour contourner la présence du Polisario.
Selon certains observateurs, le Royaume veut former un axe Rabat-Le Caire-Abidjan-Kigali-Nairobi pour servir de contrepoids à l'axe Alger-Abuja-Pretoria. Quelle en sera la portée?
Il y a quatre pays qui comptent en Afrique : l’Afrique du Sud, l’Algérie, la Libye et le Nigeria. En cas de problème, si un pays africain avait le soutien de deux de ces quatre pays, son problème était réglé au niveau international. Depuis le chaos libyen, on cherche un autre pays qui remplacera la Libye. On pense fortement à l’Angola. Nous connaissons les problèmes qui existent entre Rabat et Alger.
Je pense que ces observateurs se trompent car créer un axe en vue d'en affaiblir un autre n’est pas dans l’intérêt du Maroc. Ça serait dommage que le retour du Maroc, au lieu de renforcer la construction africaine, participe à son affaiblissement par la construction de nouveaux axes. J’ose espérer que la réintégration du Maroc dans l’UA dégèle le climat glacial entre Alger et Rabat pour l’intérêt de l’Afrique et surtout de la construction d’un Grand Maghreb pour assurer la sécurité maghrébine et sahélienne.
Depuis quelques années, le Royaume s'est engagé dans un processus de "multinationalisation" de ses grandes entreprises (banques, assurances, immobilier). La réussite de la diplomatie économique marocaine augure-t-elle d'une influence politique comparable?
La diplomatie marocaine sur le continent s’inscrit dans une dynamique des relations historiques des Rois du Maroc avec l’Afrique. Depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed Vl, les échanges avec l’Afrique ont quadriplé grâce à une diplomatie économique. Cela peut conférer à long terme une influence politique car la diplomatie marocaine s’appuie sur trois piliers : économique, humanitaire et religieux.
Premièrement, la prise en compte d’une relation commerciale historique des royautés et empires d’Afrique de l’Ouest (AO) avec des pôles urbains marocains permet de réhabiliter les anciens circuits commerciaux surtout en AO, tout en élargissant la sphère vers l’Afrique centrale (Cameroun, Gabon, …).
Le deuxième axe est constitué par la projection symbolique avec la formation d’imams africains, la construction des hôpitaux et l’action humanitaire.
Le troisième axe est le redéploiement des PME et des grandes entreprises qui permet au Maroc de viser le marché économique africain porteur. Le Maroc est concurrencé par les puissances extérieures (Turquie avec 3% des parts de marchés, Chine, Inde) et intérieur (Afrique du Sud, Egypte, Nigeria) et reste maître en Afrique de l'Ouest.
Bref le Maroc a une influence plurielle jouant sur les invariants : langue (Français), les anciens empires commerciaux, le spirituel (Islam), la sécurité et le culturel (formation des jeunes africains dans ses universités) pour faire des investissements à travers les accords cadres. Cela confère une influence politique certaine. Et d’ailleurs l’Institut Mandela avec ses partenaires ont projeté depuis mars dernier d’organiser à Rabat l’année prochaine une Conférence internationale ayant pour thème «L’Afrique, nouvel horizon du Maroc ?»