Alors que la crise entre le Maroc et la France bat toujours son plein, Emmanuel Macron continue de n’y voir qu’un orage passager que le temps finira par dissiper et ce, sans même que le nœud du dossier ne soit réglé. C’est du moins ce qui ressort de la conférence de presse que le président français a donnée lundi 27 février 2023 à l’Elysée et dont le thème central a été sa stratégie pour l’Afrique.
S’agissant du Maroc, Emmanuel Macron persiste à (faire) croire que le différend profond entre les deux pays est, finalement, minime et qu’il s’agit tout au plus d’une polémique. «Ma volonté est vraiment d’avancer avec le Maroc. Sa Majesté le roi le sait. Nous avons eu plusieurs discussions, il y a des relations personnelles qui sont amicales et elles le demeureront», a déclaré le chef d’Etat français. «Il y a, après, toujours des gens qui essaient de monter en épingle des péripéties, des scandales au Parlement européen, des sujets d’écoutes qui ont été révélés par la presse. Est-ce que c’est le fait du gouvernement de la France? Non! Est-ce que la France a jeté de l’huile sur le feu? Non! Il faut avancer malgré ces polémiques mais, enfin, sans en rajouter. Nos jeunesses ont besoin qu’on bâtisse des projets et qu’on avance», a-t-il ajouté, écartant ainsi toute implication du gouvernement français dans le vote, le 19 janvier dernier, de la résolution du Parlement Européen, alors même qu’un eurodéputé du parti présidentiel, Stéphane Séjourné, très proche d’Emmanuel Macron, a montré du zèle pour faire aboutir ladite résolution.
On peut par ailleurs s’étonner de l’utilisation du mot «polémique» pour définir la crise actuelle entre Paris et Rabat. Les divergences profondes entre les deux pays ne relèvent pas d’opinions contraires ou de débats passionnés, mais sont liées à un sujet existentiel pour les Marocains, et que Macron a feint sciemment d’ignorer. Réduire une crise à une polémique reflète, à la fois, une attitude condescendante du président français et une fuite en avant.
«On va avancer, la période n’est pas la meilleure mais ça ne m’arrêtera pas», a martelé Emmanuel Macron, concluant ainsi sa sortie médiatique.
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Si l’intervention du président français se veut volontiers bienveillante, c’est qu’il y a des enjeux. Le chef de l’État français doit entamer mercredi une tournée dans quatre pays d’Afrique centrale: le Gabon, l’Angola, le Congo et la République démocratique du Congo (RDC). Cette tournée survient après la fin de l’opération Barkhane au Sahel et le retrait des troupes françaises du Mali et du Burkina Faso. Son objectif n’est donc autre que de rattraper le temps perdu et de reconquérir un tant soit peu un continent où la France d’Emmanuel Macron n’a jamais eu aussi mauvaise presse. Depuis qu’Emmanuel Macron a pris les rênes du pouvoir en France, le sentiment antifrançais n’a jamais été aussi intense en Afrique. Et performance inédite, ce sentiment s’est propagé, y compris dans des pays comme le Maroc, qui sont parmi les plus francophiles au monde.
En visite les 15 et 16 décembre dernier à Rabat, la ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna n’est, en l’occurrence, aucunement sortie du «cadre présidentiel», rappelant le soutien français au plan d’autonomie, qui n’a pas bougé d’un iota depuis 2007 alors que de l’eau a coulé sous les ponts. Le tropisme algérien de la Macronie est passé par là, le président français ne voulant pas se risquer à fâcher la junte en prenant une position pro-marocaine claire et définitive sur le dossier du Sahara. Et c’est là une erreur que Zakaria Abouddahab, professeur de relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat, n’a pas manqué de relever, indiquant dans des propos accordés à l’agence française AFP que «la seule manière (pour la diplomatie française, NDLR) de sortir de ce casse-tête diplomatique est de cesser d’apprécier les relations entre le Maroc et la France à l’aune des rapports avec l’Algérie».
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D’ailleurs, le tropisme algérien du président Macron lui a fait faire, lors de sa conférence, une analogie entre le Maroc et l’Algérie qui relève de l’erreur de jugement. Pour le Maroc, il a dit qu’il a des relations personnelles et amicales avec le roi Mohammed VI, mais «il y a des gens qui essaient de monter en épingle des péripéties». Pour l’Algérie, Macron a dit: «Je sais pouvoir compter sur l’amitié et l’engagement du président (algérien Abdelmadjid) Tebboune. Nous avancerons là aussi». Et de préciser: «Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ont intérêt à ce que [ce que] l’on fait depuis des années maintenant avec l’Algérie n’aboutisse pas».
Ce qui est vrai pour l’Algérie où le pouvoir est au moins tricéphale –le président Tebboune, le chef d’État-major Saïd Chengriha et le clan des généraux ex-taulards et ex-fugitifs représenté par Mohamed Mediène et Khaled Nezzar, et incarné par Djebbar M’henna nommé à la tête des services de renseignements– ne l’est pas du tout pour le Royaume. Macron doit savoir pertinemment que le pouvoir n’est pas polycéphale au Maroc où les décisions du chef de l’État ne sont pas contestées.
Faut-il le rappeler, le 20 août dernier, et dans son discours à l’occasion du 69e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le roi Mohammed VI a été on ne peut plus clair: «Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit».
Les bonnes paroles et les bonnes intentions du président Macron gagneraient à se transformer en actes performatifs. La France, qui a élargi outrageusement les frontières de l’Algérie française en amputant le Maroc de vastes territoires, a une lourde responsabilité dans le différend qui oppose Rabat à Alger. La vérité sur la période coloniale à laquelle appelle le président français passe aussi par la réparation des dommages que la France a fait subir au Maroc.