Kaïs Saïed a dévoilé son noviciat en matière d’accueil de réunions internationales. Vendredi, il a fait montre d’un mépris hautain à l’égard de certains chefs d’Etat africains qu’il n’a pas daigné accueillir à l’aéroport de Tunis, alors qu’ils sont ses hôtes pour le 8e Sommet de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l'Afrique (TICAD, 27-28 août à Tunis).
Il a surtout commis l’impensable à l’égard de l’un des meilleurs amis historiques de la Tunisie, le Royaume du Maroc, qu’il a surpris en réservant un accueil triomphal au chef du Polisario, Brahim Ghali, un séparatiste connu dans le monde entier pour ses voyages en catimini, avec de faux passeports algériens et de fausses identités en vue de se soustraire à la justice internationale qui le traque.
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Kaïs Saïed a-t-il réalisé qu’en agissant de la sorte, il allait gravement porter atteinte à l’intégrité territoriale d’un Etat maghrébin souverain et blesser des millions de Marocains? A-t-il prévu la réaction du Maroc, qui a immédiatement, et logiquement, rappelé son ambassadeur à Tunis pour consultation et annulé sa participation au TICAD?
Quel acte inamical le Maroc a-t-il commis envers la Tunisie pour que Kaïs Saïed se rende coupable de ce forfait que même l’opinion et nombre de partis politiques tunisiens ont vite fait de condamner dans des termes sévères?
Elu le 13 octobre 2019 au second tour de la présidentielle tunisienne, Kaïs Saïed a vite fait de mettre la Tunisie à genoux à travers ses errements politiques en s’arrogeant tous les pouvoirs. Il a d’abord suspendu le Parlement le 25 juillet 2021, avant de le dissoudre en mars 2022. Le pouvoir judiciaire a connu le même sort puisque le Conseil supérieur de la magistrature a été lui aussi dissout en février 2022. Cela, sans parler de l’abolition de la Constitution de 2014, rédigée par une constituante suite à la Révolution du jasmin de 2011.
En réponse à sa gouvernance chaotique et despotique, les Tunisiens ont boudé son récent référendum constitutionnel, par lequel il voulait surtout mesurer son degré d’impopularité locale. Le 25 juillet dernier, Kaïs Saïed a été en effet désavoué par une abstention record. Seuls 30,5% des 9,3 millions d’inscrits ont voté, selon les chiffres officiels.
C’est ce président, très contesté depuis son élection en 2019, qui est ainsi devenu le premier chef d’Etat tunisien à accueillir et donner l'accolade au chef du Polisario. Ni Habib Bourguiba, ni Zine el-Abidine Benali, ni Moncef Marzouki, ni Beji Caid Essebsi n'ont jamais fait un pareil affront aux Marocains.
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Et ce n’est pas le seul acte négatif qu’il a commis contre le Maroc, puisque son abstention au vote de la dernière résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara, résolution favorable à la position marocaine et rejetée par l’Algérie, avait choqué au Maroc (13 OUI, contre 2 abstentions). L’abstention de la Tunisie au Conseil de sécurité avait surpris tous les observateurs. Avec la provocation de vendredi à l’aéroport de Tunis-Carthage, le vote tunisien au Conseil de sécurité hostile au Maroc devient clair comme l’eau de roche. C’était le premier acte d’une politique résolument hostile au Royaume et une lettre de soumission au régime algérien.
Le Maroc a toujours adopté la retenue face aux provocations de Kaïs Saïed, apparemment dépendant du gaz, des touristes et des crédits que l’Algérie lui consent au compte-gouttes, pour le tenir en laisse.
D’ailleurs, Kaïs Saïed fait profil bas quand il est question du régime algérien. Ce n’est, d’ailleurs, pas le Maroc mais l’Algérie qui n’a cessé, cette année, de multiplier les affronts à l’égard de son petit voisin de l’est. A la mi-juillet dernier, un expert algérien et ancien député, El Houari Tegersi, est allé jusqu’à déclarer sur le plateau de Sky News Arabia que la Tunisie n’est pas seulement la «sœur cadette» de l’Algérie, mais, a-t-il concédé, «pour le dire franchement, la Tunisie est une wilaya algérienne très importante». Contrairement aux Tunisiens qui ont été offusqués en réagissant vertement à ces propos, Kaïs Saïed a choisi de garder le silence.
Il a adopté la même posture humiliante quand le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, l’a indirectement qualifié de dictateur en déclarant, en mai dernier depuis la capitale italienne où il était en visite officielle: «Nous sommes prêts à aider la Tunisie à sortir de l’impasse et la crise, et ce, jusqu’à ce qu’elle retrouve la voie démocratique.»
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Cette ingérence algérienne dans les affaires intérieures tunisiennes a été ignorée par Kaïs Saïed dont le gouvernement se défend aujourd’hui de l’accueil de Benbattouch au nom de la souveraineté. Où était passée la souveraineté quand Tebboune pérorait depuis Rome sur le démocratisation de la Tunisie?
A contrario, le Maroc a toujours respecté la souveraineté de la Tunisie et promptement volé à son secours dans les moments les plus difficiles.
C’est ainsi que le roi Mohammed VI s’est rendu en visite officielle en Tunisie en mai-juin 2014 où il s'est même promené dans la rue, en allant à la rencontre de Tunisiens, sans le moindre protocole. Le roi a montré de la sorte au monde entier que la Tunisie post-Révolution du jasmin est un pays démocratique, en sécurité et digne de confiance.
Plus récemment, en juin 2021, et suite à la flambée du Covid-19 ayant conduit à une saturation des hôpitaux tunisiens, entraînant des décès quotidiens par centaines faute d’oxygène, et alors qu’aucun pays ne lui était sérieusement venu en aide, le Maroc a mis en place un pont aérien vers la Tunisie. Plus d’une quinzaine d’avions ont transporté des tonnes de médicaments, sans parler de l’installation d’un hôpital mobile de réanimation ultra-équipé avec tout son personnel médical spécialisé.
D’ailleurs, le Maroc et la Tunisie ont en commun d’avoir été toujours considérés comme les pays maghrébins les plus stables et les plus modérés. Une attitude du juste milieu qui leur a été reconnu par leurs partenaires de l’Union du Maghreb arabe en acceptant que le siège de l’UMA soit installé en permanence à Rabat et que son secrétaire général soit toujours un Tunisien.
En déroulant le tapis rouge au patron d’une entité fantoche, Kaïs Saïed a rompu avec la politique extérieure observée par son pays depuis l’indépendance. Sa provocation délibérée, et visiblement assumée, ne ruinera pas le capital de sympathie dont jouissent les Tunisiens auprès des Marocains, mais entraînera des conséquences qui pèseront longtemps sur les relations entre les deux pays.