Au lendemain du cinquantième anniversaire de la Marche verte, qui a marqué le retrait définitif de l’Espagne de ses anciens territoires occupés, et quelques jours seulement après une nouvelle résolution du Conseil de sécurité confirmant la prééminence de la solution marocaine d’autonomie, le Parti populaire espagnol, principale formation de l’opposition chez le voisin du nord, a lancé une offensive diplomatique, médiatique et politique contre le Maroc. Cette séquence n’est ni improvisée ni anodine. Elle réunit une initiative parlementaire dirigée contre la position officielle de l’État espagnol, un discours juridico-humanitaire instrumentalisé, une mise en scène politique à Melilia, une hostilité commerciale envers les produits marocains et un recours au thème sensible de la souveraineté sur Sebta et Melilia.
Il s’agit d’une tentative de contrer la dynamique internationale favorable au Maroc, tout en construisant une rhétorique interne de confrontation destinée au public conservateur espagnol. L’ensemble des déclarations et actes produits par le Parti populaire s’inscrit dans une vision qui mêle calcul électoral, peur stratégique et vieux réflexes hérités de l’histoire coloniale.
Le dernier acte a eu lieu au Parlement espagnol. Le Parti populaire a déposé cette même semaine une Proposition non-loi exigeant du gouvernement qu’il clarifie sa position sur le Sahara. Sous prétexte d’un appel au respect du droit international, le texte demande explicitement que Madrid réaffirme son soutien aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne annulant les accords bilatéraux avec le Maroc en matière de pêche et d’agriculture. Une demande aussi farfelue qu’anachronique et qui intervient au demeurant à un moment où de nouveaux accords sont en gestation, à la lumière de l’adoption par le Conseil de sécurité, le 31 octobre dernier, d’une résolution consacrant le plan d’autonomie du Sahara sous souveraineté du Maroc. Autant dire qu’il n’y a pas de sujet. Le PP réclame également l’octroi d’une enveloppe de 7 millions d’euros à destination des camps de Tindouf et exige la remise d’un rapport détaillé sur l’aide envoyée à la population sahraouie entre 2021 et 2025.
Cette proposition parlementaire est présentée comme un simple rappel des principes juridiques internationaux, mais elle constitue en réalité une tentative d’affaiblir la position diplomatique adoptée depuis mars 2022 par l’État espagnol, qui reconnaît désormais la solution marocaine d’autonomie comme la base la plus crédible et réaliste de résolution du conflit. Le Parti populaire accompagne ce texte d’une rhétorique selon laquelle le gouvernement Sánchez aurait rompu le prétendu «consensus historique» de la diplomatie espagnole et abandonné une position de «neutralité active». Autrement dit, il demande un retour à l’ambiguïté antérieure au rapprochement officiel avec Rabat, alors même que la position espagnole est désormais alignée sur l’évolution internationale.
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La provocation n’est pas seulement parlementaire. Elle est également symbolique. Alberto Núñez Feijóo a organisé une réunion officielle de la direction du Parti populaire à Melilia. Ce déplacement a été présenté comme un acte de défense de la «souveraineté espagnole», avec un discours insistant sur le fait que Sebta et Melilia seraient des villes espagnoles, européennes et qu’il faudrait y renforcer la présence institutionnelle et sécuritaire. Le message n’est pas destiné au Maroc mais à l’opinion publique intérieure. Il s’agit de suggérer que l’exécutif actuel ne protège pas suffisamment ces enclaves et que le Maroc constituerait une menace sous-jacente.
Enfin, le Parti populaire a relancé le vieux dossier économique et agricole. Des cadres du parti ont appelé à remettre en cause les importations agricoles marocaines, particulièrement celles issues des provinces du Sud, en invoquant la concurrence déloyale et le non-respect des normes européennes. Certains d’entre eux ont même exigé une enquête sur une prétendue évasion fiscale marocaine de 70 et 77 millions d’euros liée aux tomates marocaines. Ces attaques ne visent pas réellement l’économie mais constituent une pression politique supplémentaire sur Madrid et un moyen de récupérer le vote agricole espagnol, très sensible à la question des importations extra-européennes.
Des attaques à contre-courant des réalités
Les initiatives du Parti populaire se heurtent à une réalité incontestable. L’Espagne, comme État, a officiellement reconnu le plan marocain d’autonomie comme la base de la solution politique, et cette position a été consolidée non seulement par les déclarations du gouvernement, mais également par la poursuite de la coopération économique, sécuritaire et migratoire entre les deux pays. Sur la scène internationale, la résolution du Conseil de sécurité adoptée le 31 octobre rappelle clairement que l’initiative marocaine constitue désormais la référence à l’ONU.
Par ailleurs, la quasi-totalité des partenaires européens majeurs ont évolué vers une position similaire. C’est le cas de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique, de la France et des institutions européennes elles-mêmes. Les États-Unis, le Royaume-Uni, les États du Golfe et une majorité écrasante de pays africains soutiennent aujourd’hui ouvertement la proposition marocaine. Cette situation inverse l’équilibre diplomatique historique. Pendant longtemps, c’est le Maroc qui devait convaincre ou s’expliquer. Désormais, c’est l’argumentaire séparatiste qui s’évapore, Alger apparaissant aux yeux de la communauté internationale comme la partie décisive.
La séquence de novembre n’est pas isolée. En juillet, le Parti populaire avait déjà pris deux initiatives particulièrement hostiles au Maroc. La première fut l’invitation officielle du représentant du Polisario en Espagne, Abdulah Arabi, à son congrès national. Il s’est agi d’un affront diplomatique manifeste, puisque le parti de Feijóo a offert une tribune politique à un mouvement séparatiste dirigé contre un pays voisin, alors même qu’il est en voie de classification comme terroriste par les autorités américaines.
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Quelques jours plus tard, une eurodéputée du Parti populaire a exigé la remise en cause de l’accord agricole UE–Maroc, en demandant que les produits issus du Sahara soient explicitement exclus, au nom de la concurrence, de l’environnement et de la fiscalité. Il était évident que le véritable objectif n’était pas économique mais stratégique: frapper le Maroc dans un secteur où il dispose de leviers structurels et où sa coopération avec Madrid est indispensable.
La première salve du Parti populaire avait suscité une réponse immédiate de l’Istiqlal. Au nom de la proximité idéologique entre Istiqlal et Parti poulaire, Nizar Baraka, secrétaire général du parti, avait adressé à Alberto Núñez Feijóo une lettre dénonçant l’invitation du représentant du Polisario et rappelant les soutiens internationaux massifs au plan marocain. Cette intervention avait placé Feijóo dans une position gênante en lui rappelant que les relations entre familles politiques ne priment pas sur la souveraineté nationale.

Néanmoins, aucune réaction n’a été enregistrée. Ce silence n’est pas une marque de faiblesse mais un choix tactique, nous apprend-on au sein de l’Istiqlal sous couvert d’anonymat. Il consiste à ne pas offrir au Parti populaire la visibilité et la confrontation qu’il recherche et à le laisser s’isoler diplomatiquement au moment même où le Maroc engrange des soutiens et des reconnaissances internationales. Plus globalement, Rabat répond uniquement lorsqu’une ligne rouge est franchie, et laisse passer les tentatives de provocation qui ne modifient en rien la réalité géopolitique.
Ce que l’agitation du PP dit
Les actions du Parti populaire s’expliquent par une combinaison de facteurs politiques. La première motivation est le calcul électoral. Il s’agit de fragiliser le gouvernement Sánchez, de mobiliser l’électorat conservateur attaché à la notion de souveraineté territoriale et de séduire les milieux agricoles en présentant le Maroc comme un concurrent déloyal responsable de leurs difficultés.
La deuxième motivation relève de la peur stratégique. Le Parti populaire constate que le Maroc n’est plus un pays périphérique, mais une puissance régionale en ascension, dont la position sur le Sahara est désormais stabilisée. Il redoute qu’un Maroc renforcé, économiquement et diplomatiquement, ne puisse à terme aborder frontalement la question de Sebta et Melilia. C’est cette inquiétude qui explique la mise en scène politique du déplacement de Feijóo à Melilia.
La troisième motivation est une contradiction interne. Le Parti populaire affirme défendre le droit international, la stabilité régionale et les intérêts économiques espagnols. Pourtant, en soutenant le Polisario, en réclamant la suspension des accords commerciaux et en menaçant la coopération migratoire et sécuritaire, il met en danger des intérêts stratégiques majeurs de l’Espagne elle-même. Les secteurs agricole, portuaire, logistique et touristique espagnols dépendent de flux économiques étroitement liés au Maroc.
Enfin, le discours du Parti populaire s’inscrit dans une vision héritée du passé impérial espagnol. En parlant de «villes espagnoles et européennes en Afrique», il perpétue une conception de la présence espagnole au nord du continent africain comme une évidence historique intangible, sans jamais reconnaître que cette situation provient d’un rapport colonial. Cette perception explique son incapacité à comprendre la transformation profonde des équilibres diplomatiques.
La stratégie de l’épouvantail
Trois vérités doivent être rappelées très clairement. D’abord, Sebta et Melilia ne sont pas sur la table. Aucun processus diplomatique international n’est aujourd’hui en cours à ce sujet, et le Maroc ne mène aucune négociation formelle à ce propos. Le Parti populaire agite donc un épouvantail pour se donner un rôle de protecteur. Ensuite, l’attitude du Parti populaire relève d’un réflexe néo-colonial. Il refuse l’idée que le Maroc soit devenu un interlocuteur d’égal à égal et continue de produire un discours issu d’une époque où l’Espagne prétendait dicter les conditions du dialogue. Ce discours a perdu toute efficacité stratégique.
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Enfin, le Parti populaire n’obtiendra rien. Il ne parviendra pas à inverser la position officielle de l’Espagne, il ne saura pas modifier la tendance diplomatique internationale, il ne retrouvera pas un consensus ancien qui n’existe plus, et il ne fera que fragiliser les intérêts économiques espagnols. Le Maroc n’est plus un objet diplomatique mais un acteur souverain. En voulant instrumentaliser la question du Sahara pour des raisons politiques internes, le Parti populaire s’expose à un isolement progressif dans la sphère tant nationale qu’internationale et à une contradiction interne entre ses slogans et les intérêts réels de l’Espagne.
«Le fait est qu’entre les deux pays, la tendance est au renforcement des relations entre le Maroc et l’Espagne, sur la base des paramètres de 2022 et ce, pour encore de longues années. Un fait que d’autres forces politiques, qu’elles soient à droite ou plus à gauche du PSOE (parti au pouvoir dont est issu le président Perdro Sanchez, NDLR), n’hésitent pas à remettre en question, en l’utilisant comme une arme politique, menaçant la bonne dynamique actuelle à des fins partisanes», souligne David Alvarado, docteur en sciences politiques et fin connaisseur des rouages du pouvoir espagnol. Dans un entretien accordé à Le360, l’expert nous en parlait plus longuement.
Même là, Abdelouahed Akmir, historien, professeur universitaire et spécialiste des relations maroco-espagnoles, nuance. Au fond, le PP soutient le plan d’autonomie et il est heureux que le PSOE ait fait le travail à sa place. «Nous l’avons d’ailleurs bien remarqué lors des débats ayant suivi la reconnaissance espagnol du plan d’autonomie comme la seule solution au Congrès sur la nouvelle posture de l’Exécutif espagnol. Ce dernier a certes été critiqué, mais uniquement sur la forme, notamment sur le fait qu’il n’a pas consulté l’opposition. Sur le fond, il n’en fut rien. Le soutien espagnol au Maroc s’agissant du Sahara est une position d’Etat et non de gouvernement», rappelle-t-il.
Ainsi, ce que les dirigeants du Parti populaire présentent comme une attitude de fermeté n’est en réalité qu’un réflexe identitaire sans perspective, tourné vers un passé révolu. L’Histoire a déjà tranché en faveur d’une solution politique au Sahara sur la base de la souveraineté du Royaume et d’un partenariat stratégique entre le Maroc et l’Espagne, et plus globalement l’Europe. C’est désormais le Parti populaire qui avance à contre-courant.








