Comme chaque saison estivale, les «people» se suivent, mais ne se ressemblent pas, au Maroc, devenu une destination touristique parmi les plus en vue dans le monde. Il y a la princesse Hassa, fille du roi Salmane d’Arabie saoudite, qui a pris ses quartiers depuis le lundi 31 juillet à Tanger. Il y a eu, samedi 22 juillet, Oprah Winfrey, icône de la télévision américaine, mondialement reconnue pour son talent d’animatrice, qui s’est fendue d’une longue vidéo sur ses réseaux sociaux, dans laquelle elle dit tout son bonheur d’avoir passé deux jours de vacances à Marrakech.
Mais depuis le mardi 1er août, la cité ocre accueille un invité pas comme les autres: Pedro Sánchez, président sortant du gouvernement espagnol. Entre un scrutin législatif où son parti (le PSOE: Parti socialiste ouvrier espagnol) a fait mentir tous les pronostics et autres sondages, en faisant obstacle au Parti populaire (PP, droite conservatrice), arrivé premier, mais sans majorité, et des tractations qui s’annoncent ardues en vue de la formation du nouvel Exécutif, c’est sur Marrakech, dont l’appellation Maroc (Marruecos) est un dérivé en espagnol, que Sánchez a jeté son dévolu pour un séjour privé en famille. Les images ont fait le tour de la Toile.
Assez pour qu’une véritable levée de boucliers se soit enclenchée à son égard, lui qui est déjà accusé, par les milieux populistes de tous bords en Espagne, d’être «trop proche» du Royaume. Chauffés à blanc et scrutant les moindres faits et gestes de Sánchez, dont la jeunesse, la modernité et la «cool attitude» en font une véritable rock-star de la scène politique espagnole. Au risque de s’attirer bien des jalousies et autres marques d’animosité. Ses détracteurs, notamment au sein du PP et du parti d’extrême droite et particulièrement marocophobe Vox, s’en sont d’ailleurs donnés à cœur joie en descendant en flammes le choix du Maroc comme lieu de vacances en pleine bataille électorale.
On notera à cet égard la réaction sur Twitter, le désormais «X», de Cuca Gamarra, secrétaire générale du PP. «Seul Pedro Sánchez part en vacances tranquille… alors que nous avions besoin d’un gouvernement sérieux qui change de cap», écrit-elle.
Sur la station radio Onda Cero, Miguel Tellado, vice-secrétaire général du PP enfonce le clou. Le chef du gouvernement sortant a «décidé de mettre des kilomètres entre lui et l’Espagne». Une «provocation à la hauteur de l’orgueil du personnage». «Et ni plus ni moins qu’au Maroc», a-t-il ajouté.
Mené par Santiago Abascal, Vox n’y est pas allé non plus de main morte. «Il semble que Sánchez préfère le Maroc à l’Espagne», s’est insurgé le parti d’extrême droite sur Twitter. La preuve? «La politique concernant le Sahara, les portes ouvertes à l’immigration clandestine ou l’aide constante pour améliorer l’irrigation marocaine alors que les agriculteurs espagnols subissaient l’une des pires sécheresses depuis des décennies». Non, n’essayez même pas de comprendre…
Plus sérieusement, la symbolique du séjour marocain de Pedro Sánchez est forte. Son déplacement marrakchi se veut un message d’amitié envers le Maroc, les relations entre Rabat et Madrid ayant rarement été aussi solides et pérennes, notamment à la faveur de l’appui irrévocable de l’État espagnol à l’option d’autonomie sous souveraineté marocaine du Sahara occidental. La dynamique inédite de coopération économique (et pas que!) atteint des sommets et elle est désormais donnée en exemple. Le geste est également empreint d’une grande audace, décidément une marque de fabrique du Chef du gouvernement espagnol par intérim.
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Sa proximité du Maroc, Sánchez en fait une force, alors que nombre de milieux politiques espagnols la lui reprochent. Les temps ont bel et bien changé. Même si certains refusent de s’y faire. On se souvient notamment de la campagne électorale précédant les récentes élections générales, où droite et extrême droite, ou encore l’extrême gauche, ont vertement critiqué les «concessions» faites par le gouvernement espagnol à Rabat.
Ce faisant, certains n’ont pas hésité à se couvrir de ridicule. D’aucuns se souviennent, entre autres, de cette affiche placardée sur un immeuble sis au quartier Atocha, l’un des plus fréquentés de Madrid, œuvre de Desokupa, société spécialisée dans la récupération extrajudiciaire de logements occupés illégalement. Le 4 juillet dernier, cette entreprise, dont le patron Daniel Esteve est connu pour sa proximité avec le parti d’extrême droite Vox, en a recouvert la façade principale de l’édifice en cours de ravalement. On y voit une photographie peu flatteuse du président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez, agrémentée avec cette phrase: «Toi au Maroc, Desokupa à la Moncloa! (siège de la Présidence du gouvernement, NDLR)».
Devenu un véritable argument pour tirer à boulets rouges sur Sánchez, «l’ogre Maroc» a prouvé toute son inefficacité. Donné perdant, le Premier ministre socialiste est parvenu à limiter les gains de l’opposition de droite et conserve, contre toute attente, toutes les chances de se maintenir au pouvoir in extremis grâce au jeu des alliances. Son rival le PP, bien qu’arrivé premier, n’a pas la majorité nécessaire pour former un gouvernement, même en s’alliant avec l’extrême droite, incarnée par Vox.
Pour rappel, lors des élections législatives du 23 juillet, le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Sánchez est arrivé en deuxième position avec 121 sièges, derrière les 137 sièges du PP, dirigé par Alberto Núñez Feijóo. Mais en raison du jeu des alliances, Sánchez a plus de chances de l’emporter, son rival ne pouvant compter que sur Vox (33 sièges) pour réunir les soutiens nécessaires à une investiture. Là encore, ce sera insuffisant, puisque les deux formations réunies ne totalisent que 169 sièges, loin de la majorité absolue de 176.
En face, le PSOE dispose de 122 députés et Sumar, son allié de gauche radicale, de 31. Mais malgré ce score inférieur à celui de la droite, le président du gouvernement conserve une chance de se maintenir au pouvoir, car il est à même d’obtenir le soutien de partis basques et catalans, qui l’appuient déjà régulièrement au Parlement.
Lundi 31 juillet dernier, Sánchez a dit vouloir attendre la constitution du nouveau Parlement, le 17 août, pour «travailler à obtenir une investiture qui nous permettra de continuer à avancer». En attendant, il profite. Et il a bien raison de le faire.