Le président de la République française, Emmanuel Macron, qui effectue une visite d’État de 3 jours au Maroc, a adressé, ce mardi 29 octobre 2024, un discours devant les deux chambres du Parlement réunies. La séance a été présidée par Rachid Talbi Alami et Mohamed Ould Errachid, respectivement présidents de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers.
Voici le discours intégral:
«Monsieur le président de la chambre des Représentants,
Monsieur le président de la chambre des Conseillers,
Monsieur le Chef du gouvernement,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Madame, Monsieur les ambassadeurs, Chers amis,
À l’heure de m’exprimer devant vous, je mesure combien ma venue s’inscrit dans une histoire séculaire, qui a tissé entre nos deux nations une véritable communauté de destin, un dialogue qui remonte à la nuit des mémoires. Impossible de citer toutes les ambassades envoyées de part et d’autre de la Méditerranée depuis la Renaissance, les traités signés, les récits d’exploration, les romances entrecroisées, comme ce corsaire de Salé Abdellah Benaïcha, qui fut envoyé à Versailles pour demander la main de la fille du roi Soleil, ou de ce récit du lettré Idriss Al Amraoui, qui rapporta au sultan Mohammed IV son témoignage de la France de 1860.
Il y eut ces ambassades, avec leurs longues palabres autour des questions de commerce et de sécurité des mers. Mais ce furent des artistes qui posèrent à coup sûr sur le Maroc le regard le plus passionné: Delacroix, Matisse, Majorelle et toute la cohorte des peintres et écrivains voyageurs qui abordèrent toujours le Maroc avec respect, avec admiration. C’est d’eux dont nous nous réclamons aujourd’hui, et ce sont eux qui éclairent notre mémoire commune, qui connaît aussi sa part d’ombre.
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Car vint le temps des traités inégaux, quand l’hubris et la force mécanique des États européens s’imposèrent aux quatre coins du monde et quand, même arrangé en protectorat, le Maroc n’échappa pas aux ambitions et aux violences de l’histoire coloniale. La France fit effraction, d’abord par le truchement d’accords commerciaux et financiers, puis par le traité de Fès. Tandis qu’elle imposait ses vues et consolidait ses intérêts, il y eut aussi des hommes qui cherchèrent à comprendre, à respecter et, je crois, à aimer cet empire millénaire dont ils percevaient l’identité profonde et irréductible. Ils eurent pour nom Louis Massignon, Jacques Berque, à certains égards Hubert Lyautey. Cela n’empêcha pas la République de demeurer aveugle et sourde au renouveau qui se faisait jour parmi la jeunesse marocaine et que le sultan Mohammed V allait bientôt incarner et défendre.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, ces pionniers constituent le comité France- Maghreb, auquel adhèrent François Mauriac, François Mitterrand, et soutiennent avec Amédée Lefèvre, Vicaire général de Rabat, les initiatives du monastère de Toumliline en faveur du réveil des «consciences inquiètes» et de l’émancipation des Marocains. L’histoire retient aussi le courage de Maroc Presse et d’Antoine Mazzella au printemps 1954 pour exiger le retour du Sultan exilé à Madagascar et de tous ces penseurs libéraux qui paveront la voie de l’avenir.
Ce sont ces libéraux, émules de Jacques Berque, regroupés dans Conscience française et le Centre d’études et de documentation de Jean Védrine, qui poseront les premiers jalons conduisant à Aix-les-Bains. Il fallut néanmoins encore plusieurs Résidents généraux et le sombre épisode de la déposition du Sultan Mohamed V et de son exil avant que la raison ne prévale.
«Quand la France se tourne vers ces 80 dernières années de relations franco-marocaines, c’est d’abord de la gratitude qu’elle ressent»
La déclaration de la Celle-Saint-Cloud, le 6 novembre 1955, scelle un nouveau temps: c’est par là que le Maroc et la France épargnèrent à leur peuple les dix années de la guerre d’Indochine et les huit ans de celle d’Algérie. Ces quelques mois qu’employèrent les négociateurs pour ouvrir la voie à l’indépendance sont à marquer d’une pierre blanche dans notre histoire, car ils ont permis au Maroc et à la France de surmonter les cicatrices laissées par l’épisode colonial.
Quand la France se tourne vers ces 80 dernières années de relations franco-marocaines, c’est d’abord de la gratitude qu’elle ressent, pour tous ces hommes venus du Maroc pour libérer notre patrie du joug de l’occupant, en Provence, dans la vallée du Rhône, mais aussi sur tous les autres théâtres où les Forces Françaises libres furent engagées. Partout la chéchia et la ceinture écarlate des tirailleurs devint synonymes de bravoure et de sacrifice, partout, les goums et les tabors ont payé le prix du sang pour notre liberté. Comme le fit le général de Gaulle en reconnaissant le Sultan Mohamed V comme compagnon de la Libération, comme j’ai eu l’occasion de le faire cet été à la nécropole de Boulouris, à Saint-Raphaël, où dorment tant des vôtres, je veux ici leur exprimer notre respect et notre gratitude.
Il y eut le temps du sang versé, le temps des héros et de la guerre. Il y eut ensuite celui des forces vives de la paix. Ces dizaines de milliers et bien plus encore de Marocains qui contribuèrent, après la guerre, à la reconstruction de la France et à son industrialisation. Notre capitale, nos régions, nos villes, Marseille, Lyon, Toulouse, Le Havre, Montpellier, Lille, Metz, Nantes, Strasbourg, Grenoble, tant d’autres, en portent aujourd’hui le témoignage à travers les communautés d’origine marocaine qui y vivent et qui participent à la vitalité de la France de ce siècle. Combien d’élus, d’entrepreneurs, d’artistes, de sportifs dont l’histoire familiale, les patronymes, les valeurs spirituelles aussi incarnent ce que le Maroc a apporté à la France pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui?
«Il faut voir et il faut dire que nous ne sommes pas tout à fait étrangers l’un à l’autre»
Ici, au Maroc, la France est demeurée depuis l’indépendance le partenaire fidèle des évolutions de la société. La communauté française, dans sa diversité, y demeure la plus importante en Afrique. Nos 44 établissements scolarisent près de 50.000 élèves, dont une immense majorité de Marocains. Aux quatre coins du Royaume, nos instituts français accueillent tous ceux qui, à un titre ou à un autre, y recherchent une perspective. Apprendre notre langue, se préparer à étudier en France, se frotter à des artistes ou participer à des débats.
Enfin, la communauté étudiante marocaine est la première dans l’Hexagone. Je pourrais ici aussi convoquer les près de 5 millions de touristes français qui voyagent chaque année chez vous.
Oui, de part et d’autre du temps et des mers, lorsque l’on parle du Maroc et de la France, il faut voir et il faut dire que nous ne sommes pas tout à fait étrangers l’un à l’autre. Et pas seulement parce que les années d’Al-Andalous ont fait de l’Espagne et du sud de la France un terreau d’échange avec votre culture. La Giralda de Séville, les zéliges bleues et les patios ouvragés du sud en restent toujours le somptueux témoignage architectural. Mais parce que nos poètes même l’ont placé au cœur de nos imaginaires. Les vers du Fou d’Elsa sont l’écho lancinant d’une passion franco-marocaine qui ne passera pas, et qui s’est un temps incarnée dans ce territoire andalou qui n’était ni tout à fait l’Europe ni tout à fait l’Afrique. «Dans ce pays d’or et d’argent, travaillé comme une timbale», pour reprendre Aragon, où «tout revêt ses habits de bals, les champs, les villes et les gens, et où l’air a le parfum des cymbales, dans ce pays d’or et d’argent».
Pour mes compatriotes, le Maroc jouera toujours un rôle à part, de porte et de passeur vers l’Afrique, une Afrique rêvée, autant que l’Afrique charnelle, humaine, tangible. Et il faut voir la passion que nourrissent nos lecteurs français pour des romanciers franco-marocains. Plusieurs nous accompagnent ici, Pierre ASSOULINE, Abigail ASSOR. Mais je pourrais convoquer aussi Tahar BEN JELLOUN, Abdellatif LAÂBI, Leïla SLIMANI, lauréats de nos prix Goncourt et favoris du cœur des Français. Comme si votre terre était par excellence un territoire de littérature. «La réalité marocaine est si complexe, si riche, si contradictoire qu’elle fournit en permanence matière à fiction», avance Tahar BEN JELLOUN, élucidant peut-être un peu du secret de cette vitalité de vos plumes.
«Parmi les plus anciennes monarchies du monde, le royaume du Maroc avance avec confiance, cette confiance qu’il a en lui-même et qu’il porte en son Roi»
À l’heure où nous avons, avec Sa Majesté le roi Mohammed VI, décidé d’écrire un nouveau livre ensemble, je veux partager avec vous ma certitude que ces liens vont aller se renforçant sans cesse. À cet égard, je remercie Sa Majesté le Roi pour les paroles fortes qu’il a prononcées ici même le 11 octobre dernier à l’égard de la France.
Parmi les plus anciennes monarchies du monde, le royaume du Maroc avance avec confiance, cette confiance qu’il a en lui-même et qu’il porte en son Roi. La conscience que lui donne sa longue histoire et l’énergie d’une jeunesse nombreuse, pleinement désireuse d’accompagner son émergence. Vous êtes également les représentants d’un peuple qui a érigé, par la volonté de son souverain, la diversité, le dialogue, la tolérance, au cœur de son identité, de ses institutions, de sa Constitution. L’islam de tolérance promu par Sa Majesté le Roi, commandeur des croyants, forme un défi à toute forme d’extrémisme. Cette richesse du Maroc est encore plus précieuse et digne de respect à l’heure où notre monde est déchiré par l’intolérance et par la guerre. Ce sont là des valeurs que la France partage profondément, qu’elle s’efforce de promouvoir comme pilier historique de l’Union européenne, en acteur déterminé sur la scène internationale, mais aussi en demeurant un creuset de l’innovation technologique, intellectuelle, artistique, grâce et avec tous ceux qui l’ont faite et tous ceux qui la font vivre.
Vingt-cinq ans sont passés depuis que Sa Majesté est devenue le souverain du royaume du Maroc, incarnant la continuité de l’une des plus anciennes dynasties du monde et l’un des visages de la modernité industrielle et technologique. Face à nous, pour le prochain quart de siècle, se dessinent tous les enjeux et tous les possibles. En réaffirmant un lien d’amitié unique en son genre en cet anniversaire, je vois l’occasion et la nécessité d’écrire ce livre nouveau pour faire face et relever les défis du siècle. C’est une opportunité historique, oui, je dirais même un devoir stratégique, de construire entre nos deux pays, mais aussi entre l’Union européenne et le Maghreb, et au-delà, l’Afrique, un projet qui offre à nos peuples, à nos économies, la possibilité d’une prospérité, d’une sécurité, d’un horizon absolument nouveau.
Beaucoup a été esquissé ces dernières années et décennies, EuroMed, l’Union pour la Méditerranée, pour ne citer que quelques-unes de ces initiatives. Mais force est de constater que les fruits n’ont pas pleinement suivi la promesse donnée par les premières fleurs, en raison des troubles en Méditerranée orientale, de ce qui s’est passé en Libye, de ses conséquences au Sahel et au Maghreb, c’est pourquoi le temps qui s’ouvre est porteur tout à la fois de responsabilité et d’espoir nouveau. Le Maroc et la France ont aujourd’hui vocation à jeter les fondations d’un partenariat d’exception renforcé entre nos deux pays et proposer aux générations des 25 prochaines années ce nouveau livre lucide, lucide sur le passé, mais tourné vers l’avenir.
Bien sûr, ce doit être avant tout un espace ordonné, dont chacun des partenaires accepte d’être le garant, avec respect et engagement. Je pense à l’immigration illégale et à la nécessité d’une coopération naturelle et fluide en matière consulaire. Chacun voit bien que cette question est aussi une question de confiance réciproque. Elle constitue pour beaucoup de Français une attente des plus fortes. Nous avons besoin de davantage de résultats. Je pense aussi à notre partenariat en matière de sécurité, de lutte contre les trafics de toute nature qui minent nos sociétés et menacent nos États. La lutte contre le terrorisme aussi, qui doit continuer de nous unir inlassablement, lutte contre la criminalité organisée et en particulier contre le narcotrafic qui gangrène nos territoires et nécessite une coopération judiciaire très étroite et encore plus rapide. Oui, ensemble, notre responsabilité est de bâtir un espace maîtrisé de sécurité et de sûreté.
Ce sont aussi ces actions qui permettent ce partenariat d’exception qui gagnerait à être plus ouvert pour étudier, pour travailler quelques jours, quelques mois, quelques années, pour tisser et maintenir des liens. Un espace où, sur la base d’un cadre clair, ambitieux, fondé sur nos règles respectives, la mobilité des femmes et des hommes, comme celle des marchandises ou des capitaux, peut permettre aux idées, aux projets, aux talents de circuler intensément. Ce doit être l’occasion de redonner à la Méditerranée sa véritable vocation de trait d’union. Et ne rien faire, ne rien imaginer, se donner pour seule ambition de colmater au jour le jour les flux humains qui nous dépassent reviendrait à nous résigner à subir notre avenir dans une position passive. Ce n’est pas l’avenir que je veux pour la France, parce que la France n’a jamais été aussi grande que quand elle a rêvé, imaginé plus grand qu’elle-même. Cette vision, je sais que le Maroc la partage avec notre pays.
«S’il est — permettez-moi simplement cette remarque — s’il est un domaine où nous persistons à nous opposer, c’est uniquement le football. Parce que c’est une passion partagée»
La France a également toujours été aux côtés du Maroc pour accompagner sa dynamique de développement économique et social. J’évoquais l’Éducation, l’Enseignement supérieur, mais je songe aussi aux très nombreuses entreprises françaises qui ont cru au Maroc et font aujourd’hui de la France le premier investisseur étranger ainsi qu’un créateur d’emplois qualifiés, important et croissant. Je songe à l’Agence française de développement, dont le Maroc est le premier partenaire dans le monde et dont la stratégie s’aligne parfaitement sur votre nouveau modèle de développement. Je songe aux magnifiques projets pour lesquels vous avez honoré la France de votre confiance, comme le développement marocain du TGV, que nous poursuivrons donc ensemble, et c’est une immense fierté pour nous. Je songe aussi à notre vision des industries culturelles et créatives et l’ambition que nous avons en commun d’en faire un élément central d’attractivité, mais aussi d’employabilité pour nos jeunesses. Je me réjouis demain de pouvoir l’illustrer à l’occasion de plusieurs échanges, et cet après-midi, avec des acteurs du secteur du jeu vidéo, échange durant lequel nous lancerons un programme de formation des professionnels soutenu par l’école ISART dans la perspective de la Cité du jeu vidéo dont veut se doter le Maroc. Je pourrais citer là à peu près tous les secteurs, les infrastructures, l’énergie, tous les secteurs qui font la ville durable, celui du traitement des eaux, du traitement des déchets, en effet, de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur, tout concourt à ce que nos sociétés, nos jeunesses, nos entreprises fassent encore davantage.
S’il est — permettez-moi simplement cette remarque — s’il est un domaine où nous persistons à nous opposer, c’est uniquement le football. Parce que c’est une passion partagée, le match France-Maroc de 2022 restera l’un des grands moments de la Coupe du monde. Malgré tout, vos joueurs font rêver nos championnats, et tant de nos équipes. C’est une des choses qui réconcilient le Paris Saint-Germain et l’Olympique de Marseille. Et je souhaite que l’accueil de la Coupe du Monde par le Maroc en 2030 soit le succès auquel nous sommes impatients de participer et nous offre une fois encore tant de moments d’émotions.
Oui, sur tous ces domaines comme sur les autres, pour aujourd’hui et pour demain, notre ambition est claire : développer ensemble de nouveaux partenariats stratégiques en mobilisant toutes nos forces économiques, technologiques, académiques, artistiques. Bien sûr, «pour faire mieux encore qu’hier», mais aussi parce que j’ai la conviction que renforcer notre communauté de destin dans les domaines essentiels contribuera à nous conserver de part et d’autre de la Méditerranée, la maîtrise de l’avenir.
Les temps l’exigent. Les défis auxquels nos deux pays sont confrontés sur une scène internationale en voie de transformation accélérée aussi. Vous savez, comme moi, qu’il n’y aura pas d’avenir pour nos enfants si nous ne parvenons pas à réussir la transition énergétique et à endiguer le réchauffement climatique. Personne n’est épargné, ni votre peuple, ni le mien. À Paris, en 2015, comme à Marrakech l’année suivante, à travers l’organisation des COP 21 et 22, nos deux nations ont joué un rôle marquant sur la scène internationale. Et c’est ce même engagement que nous poursuivrons.
Mais je veux ici saluer l’action résolue qui est la vôtre sur la question de l’eau et de l’adaptation. Je crois que peu de pays ont relevé ce défi avec autant d’ardeur, d’innovation. Des autoroutes de l’eau, et nous sommes fiers d’être l’un de vos partenaires dans cette politique inédite, aux politiques de dessalement de vos villes, pour faire face aux défis de l’agriculture comme à ceux de villes de plus en plus grandes qui doivent accueillir de nouveaux habitants et plus de jeunesse. L’accès à l’eau, à l’eau potable, l’accès à l’irrigation durable est indispensable. Et le Maroc, à ce titre, a beaucoup à apprendre au reste du monde, et c’est pourquoi je souhaite que les autoroutes de l’eau soient au cœur du One Water Summit qui sera organisé en fin d’année et que nous puissions vous accompagner sur ce chemin d’adaptation et de souveraineté inédit.
«Depuis le début de ce siècle, les accords de libre-échange ont favorisé une intégration très avancée de nos économies»
Dans le domaine de l’énergie, le Maroc dispose de ressources uniques, d’une longue tradition de grands projets hydroélectriques qui remontent à feu Sa Majesté Hassan II. Déjà riche de fermes solaires, d’éoliennes parmi les plus grandes d’Afrique, votre pays a posé le cadre qui lui permettra bientôt de devenir un acteur majeur du renouvelable, qu’il s’agisse des électrons ou de l’hydrogène vert. J’ai la conviction que vous saurez, non seulement, réussir la décarbonation de votre consommation domestique et industrielle, mais proposer de manière complémentaire un approvisionnement de proximité stable et sûr à notre Europe. Oui, je suis convaincu que l’avenir de la Méditerranée s’écrira aussi par ces corridors de l’hydrogène vert et ces corridors électriques qui vont lier nos deux pays. Et ces routes nouvelles que nous sommes en train de bâtir sont des axes décisifs de croissance de part et d’autre de la Méditerranée.
Voilà une clé essentielle de notre compétitivité. Depuis le début de ce siècle, les accords de libre-échange ont favorisé une intégration très avancée de nos économies, dont les bénéfices mutuels sont incontestables. Elle a notamment permis, à travers la colocalisation de filières industrielles critiques, de faire du Maroc une plateforme de production efficace et complémentaire pour l’industrie française et européenne. Dans la nouvelle étape de la mondialisation que nous vivons depuis la crise sanitaire, et alors que les politiques non coopératives de certains acteurs internationaux risquent de se renforcer dans les années à venir, l’intégration de nos chaînes de valeur est un levier majeur de notre compétitivité.
Et il y a, pour la France, mais plus largement pour l’Europe, à continuer de penser de manière durable l’intégration des chaînes de valeur entre l’Europe et l’Afrique. C’est la clé pour résister aux politiques de plus en plus agressives d’autres grands espaces géopolitiques, aux politiques tarifaires nouvelles et à la fragmentation du commerce international que d’aucuns ont de facto déjà décidé. Ces bases de coopération doivent être claires, rationnelles, durables et justes: pour les entreprises françaises, cela consiste à «faire avec le Maroc», selon une logique mutuellement bénéfique qui prend en compte les mutations profondes des industries et des services. Ces secteurs stratégiques seront au cœur des rencontres entrepreneuriales Maroc- France, que je clôturerai cet après-midi, et je me réjouis des très nombreux projets que nous nous apprêtons à lancer ensemble et des nouvelles signatures d’accords, au-delà des 22 d’hier soir, que nous signerons.
De part et d’autre de la Méditerranée, nous sommes bien conscients que le capital humain sera le principal marqueur de notre capacité à relever tous ces défis. C’est la raison pour laquelle les questions d’éducation, de formation professionnelle, d’enseignement supérieur figurent au premier rang des politiques publiques de nos États. Le Maroc et la France s’inscrivent à cet égard dans une francophonie ambitieuse, celle que nous avons célébrée récemment à Villers- Cotterêts et qui constitue une opportunité supplémentaire pour nos deux jeunesses de développement dans cet espace francophone unique, plus de 320 millions de locuteurs aujourd’hui, 500 millions à l’horizon 2050.
Mais nous faisons face à un enjeu d’échelle, car ces priorités sont aussi celles des grands acteurs mondiaux qui entendent prendre ou garder la main sur les technologies les plus avancées, qui ont des marchés intérieurs considérables et qui n’ont aucune raison de faire de cadeau ni à l’Europe, ni à l’Afrique, ni au Maroc, ni à la France. C’est pourquoi, si nous voulons relever tous les défis que je viens d’évoquer, celui de la compétitivité, de l’intégration énergétique, du numérique, de la capacité de recherche aussi dans les domaines cruciaux, comme celui de l’intelligence artificielle, il nous faut drastiquement investir dans la formation, développer partout nos systèmes éducatifs et leurs échanges, et former sur tous les domaines critiques.
Nous avons décidé, lors de cette visite, d’aller beaucoup plus loin en la matière et de nouer de nouveaux partenariats académiques pour les métiers de l’industrie, de la santé, du numérique, mais aussi pour ceux de l’agriculture, indispensables à la sécurité alimentaire de nos pays et du continent. Sur chacun de ces domaines, savoir former des talents, savoir les faire voyager, puis les conserver, est un défi essentiel pour nous. C’est pourquoi ce partenariat d’avenir doit être respectueux, exigeant, mais il est indispensable pour nos jeunesses. Dans le même temps, nous devons également jeter les bases d’une circulation naturelle des personnes afin de faire bien davantage ensemble en matière de recherche, de projets, de créations d’entreprises, comme autant d’opportunités offertes à ces talents. Des initiatives bienvenues ont été prises ces derniers mois, notamment à l’intention des alumni marocains de l’enseignement supérieur français, qui reçoivent désormais automatiquement un visa de circulation. Et il nous faut continuer de viser plus haut et je souhaite avec le Maroc faire une expérimentation pilote en la matière et permettre justement à ces derniers de nourrir les deux rives de leur intelligence et d’un projet commun.
L’histoire, la langue, les fondamentaux posés ensemble depuis des siècles, constituent autant d’atouts pour réussir quelque chose de singulier qui puisse constituer une espérance pour les générations qui viennent. Car il nous faut être honnêtes avec nous-mêmes, si nous ne nous plaçons pas sur ce terrain, celui d’un cadre d’ambition assumé, attractif et maîtrisé pour notre jeunesse, nous subirons l’un comme l’autre les effets déstructurants des sirènes d’autres pays, de grands acteurs de l’économie mondiale qui viendront écrémer nos ressources, éroder notre intimité, essouffler notre partenariat en offrant à nos forces vives des perspectives que nous n’aurions pas su tracer.
«Tout au long des décennies passées, le Maroc et la France sont demeurés des alliés fidèles dans les temps troublés»
Ce que j’appelle de mes vœux dans tous les domaines que je viens d’évoquer, c’est bien ce prochain livre de notre relation, pour reprendre les mots de Sa Majesté le Roi, hier, qui n’hésite pas aussi à bousculer les acquis et les cadres classiques pour porter le plus d’ambitions possible. Car je crois qu’au-delà de nos deux pays, ce nouveau livre emporte aussi la possibilité d’écrire une nouvelle page de l’avenir et du développement du continent africain.
Oui, tout au long des décennies passées, le Maroc et la France sont demeurés des alliés fidèles dans les temps troublés. Et jamais la France n’a manqué au Maroc sur toutes les questions existentielles auxquelles il a fait face. Et je pense, bien sûr, en premier lieu au Sahara occidental, à propos duquel j’ai souhaité, au nom de la France, préciser ma vision en m’adressant à Sa Majesté le roi Mohamed VI, le 30 juillet dernier. Et je le réaffirme ici devant vous, pour la France, le présent et l’avenir de ce territoire s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine.
L’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue et le plan d’autonomie de 2007 constitue la seule base pour parvenir à une solution politique juste, durable et négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Oui, ancrée dans l’Histoire, respectueuse des réalités et prometteuse pour l’avenir, cette position est celle que la France mettra en œuvre pour accompagner le Maroc dans les instances internationales.
Et je le dis ici aussi, cette position n’est hostile à personne. Elle permet d’ouvrir une nouvelle page entre nous, comme avec tous ceux qui veulent agir dans un cadre de coopération régionale, en Méditerranée, avec les pays voisins du Maroc et avec l’Union européenne. Et je le dis ici aussi avec beaucoup de force, nos opérateurs et nos entreprises accompagneront le développement de ces territoires au travers d’investissements, d’initiatives durables et solidaires au bénéfice des populations locales.
Entre le Maroc et la France, c’est une histoire qui nous appartient, mais elle ouvre vers l’Europe et elle ouvre vers l’Afrique. Et je sais que c’est une vision que partage Sa Majesté le Roi Mohammed VI, convaincu que le dialogue entre nos continents peut ouvrir en effet des chemins nouveaux, qui ne soient pas seulement ceux de la fuite et de l’exil. Et je veux le citer devant l’Union africaine: «Il est beau le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé. L’Afrique est mon continent et ma maison.»
Et c’est pourquoi ce partenariat euro-africain est celui que nous voulons renforcer, celui auquel je crois profondément. Chacun sait, chacun voit aussi que le continent africain sera celui où une grande partie de notre futur se jouera.
Avec l’Afrique, parce que les lunettes d’hier sont dépassées, nous sommes engagés dans un renouveau de notre relation avec les peuples, avec les États. Et le Maroc, par sa géographie, par son histoire, par sa culture, par la vision de ses souverains, affirme depuis longtemps sa vocation de plateforme, de truchement, de chemin singulier. Sa stabilité, son ouverture, son développement sont des atouts inégalables que nous reconnaissons à leur juste valeur et qui peuvent inspirer bien des initiatives communes. C’est pourquoi, je le crois profondément, nous avons ensemble à œuvrer, et je sais pouvoir m’inspirer de votre pays et de son action au Sahara et au Sahel.
«Ce nouveau partenariat avec l’Afrique, par sa jeunesse, est celui que nous voulons construire ensemble, au Sahel et au Sahara, comme je l’évoquais, mais à travers tout le continent»
Nous avons besoin dans cette région d’une stabilité respectueuse des peuples, de projets de développement pour la jeunesse de celle-ci, qui seule permettra, non seulement la stabilité, mais de mettre fin aux routes des trafics et de la misère qui, du Golfe de Guinée à la Libye, sont ceux qui font souffrir le continent africain et le continent européen.
Et je compte donc beaucoup sur cette nouvelle stratégie où, ensemble, nous pourrons œuvrer dans cette région où la France, avec humilité, cherche à bâtir une stratégie partenariale nouvelle. Elle a été accusée par certains de tous les maux, bien injustement, car pendant une décennie, elle a évité l’effondrement de plusieurs États face au terrorisme à des califats territoriaux qui voulaient se créer. Et en parlant ici devant vous, j’ai une mémoire émue pour les enfants que notre pays a donné, pour la stabilité du Sahel, au Mali et ailleurs.
Oui, ce nouveau partenariat avec l’Afrique, par sa jeunesse, est celui que nous voulons construire ensemble, au Sahel et au Sahara, comme je l’évoquais, mais à travers tout le continent, par l’éducation, l’agriculture, les projets écologiques, le numérique et l’énergie. Il y a sur ces axes des actions communes que nous pouvons résolument ensemble construire, bâtir ces ponts énergétiques que j’évoquais, avoir une politique de souveraineté alimentaire résolue dont le continent a besoin, et nous aurons l’occasion demain d’y travailler ensemble. Nous sommes déjà partenaires dans cette aventure, avec les campus du réseau AfricaSup au Maroc, avec la future Académie de l’Eau, et nous ne sommes qu’au premier pas de ces révolutions à venir. Je veux ici aussi saluer le rôle positif de partenariat, de dialogue et de stabilisation que votre pays joue avec l’ensemble du voisinage. Pour projeter notre relation bilatérale vers l’avenir et pouvoir emporter cette ambition et ces projets, j’ai proposé à Sa Majesté le Roi Mohammed VI que la France et le Maroc soient liés par un nouveau cadre stratégique qui pourrait être signé 70 ans après l’accord de la Celle-Saint-Cloud, à l’occasion d’une visite d’État en France que Sa Majesté a acceptée.
Avec Sa Majesté, nous nommerons sans tarder un comité de suivi paritaire qui sera chargé de nous remettre des propositions en ce sens dès le premier trimestre 2025, afin d’en dessiner les contours. Le Royaume du Maroc serait ainsi le premier pays hors de l’Union européenne avec lequel nous nous engagerions aussi intensément. Et ce sera l’occasion de rappeler que des valeurs communes nous rassemblent, qu’elles invitent à voir grand et loin pour les générations à venir. Cet accord aura vocation à mobiliser nos institutions, nos communautés, nos jeunesses, nos talents, pour être les garants de l’ambition que nous nous assignons. Il permettra aussi, en mettant davantage en lumière nos solidarités, d’accorder encore davantage nos voix sur la scène du monde.
À cet égard, nos regards se tournent évidemment vers l’Est de la Méditerranée, vers cette région du Proche-Orient qui est si chère à la France comme au Maroc, et qui se trouve aujourd’hui plongée dans l’abîme avec des conséquences dramatiques pour les populations civiles. Le 7 octobre 2023 a constitué une attaque d’une barbarie particulièrement atroce, perpétuée par le Hamas contre Israël et son peuple. Israël a le droit de défendre son peuple contre une telle menace. La France y a perdu 48 de ses enfants, et deux de nos compatriotes comptent encore parmi les otages retenus à Gaza. Mais rien ne peut justifier pour autant le bilan humain désastreux à Gaza et la souffrance que connaissent les populations civiles. C’est pourquoi, il faut un cessez-le-feu à Gaza.
Et la France n’a eu de cesse de le demander depuis novembre dernier. Un cessez-le-feu, pour libérer les otages, pour protéger les populations et permettre enfin à l’aide humanitaire de parvenir dans la bande de Gaza. Au Liban également, il faut un cessez-le-feu et l’arrêt des opérations militaires. Nous y œuvrons depuis plusieurs semaines, en lien avec nos partenaires américains et plusieurs autres. Et c’est pourquoi, en cohérence avec cette position, j’ai appelé à ce que cessent les exportations d’armes aujourd’hui utilisées à Gaza, en Cisjordanie et au Liban.
La voie de la diplomatie est possible, elle est exigeante, et c’est celle que la France soutient pour permettre aux peuples israéliens, palestiniens et libanais de voir leurs aspirations à la paix et à la sécurité garanties, et à tous les déplacés de rentrer en sécurité chez eux. Vous connaissez l’attachement historique de la France à la solution des deux États. Il faut relancer cette perspective de façon décisive pour inscrire la paix dans la durée au Proche-Orient. Vous connaissez aussi notre engagement sans faille à lutter contre l’antisémitisme en France et partout dans le monde. Cet engagement est irréductible. Et je le dis dans un temps où les actes antisémites, tout particulièrement ces dernières années, ont refait surface et partout pullulent. Et je sais que c’est aussi un héritage du Royaume sur lequel bâtir ensemble, pour protéger nos concitoyens et préserver dans ce contexte douloureux la cohésion de nos sociétés et les valeurs qui sont les nôtres.
Sur cet enjeu, le Maroc a beaucoup à apporter. Je souhaite ici encore rendre hommage à l’action de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, également président du comité Al-Qods, et à son investissement personnel pour apporter l’aide humanitaire urgente aux populations palestiniennes et libanaises qui en ont aujourd’hui le plus besoin.
Je salue sa mobilisation et celle de tout le Maroc en faveur de la désescalade, d’une reprise du dialogue et de la relance d’un processus politique crédible. Dans la cacophonie actuelle, dans laquelle se complaisent les extrêmes de tous bords, le Maroc porte une voix forte et singulière. C’est, il me semble, la voix de la raison et de la justice. Une voix juste, fidèle à son histoire et à ses principes, une voix qui nous rappelle à nos engagements, à nos valeurs communes, et qui nous enjoint d’œuvrer sans relâche pour apporter un peu d’espoir à une région et à des populations qui en ont aujourd’hui si peu. Je sais qu’à Paris, comme à Rabat, nous partageons cette même préoccupation et travaillons dans le même sens.
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, chers amis, la vision éclairée de Sa Majesté le roi Mohammed VI, les réalisations des 25 premières années de son règne sont une invitation à nous tourner vers l’avenir. Si vous l’avez compris, ce qu’à vos côtés et avec vous, je suis venu faire.
Alors, puisse cette visite d’État marquer l’ouverture de ce nouveau livre dans notre longue histoire partagée, qui permettra à nos deux nations d’avancer avec détermination dans ce siècle incertain, mais qui a besoin de la richesse de notre amitié. Puissions-nous être à la hauteur de cette ambition, forts de notre histoire et pour nos jeunesses.
Vive le royaume du Maroc et vive la France!»