À la découverte de la colombophilie!

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueDerb Sultan, à Casablanca. Une terrasse. Un jeune homme s’occupe d’une grande cage de pigeons. Carnivore patentée, je les ai imaginés en tajine: «Tu les élèves pour les manger ?» Il sort les yeux, scandalisé: «Wa alla ! Je suis colombophile.» La honte!

Le 21/02/2025 à 11h00

J’ai appris l’existence d’une activité passionnante: la colombophilie. L’art d’élever et de faire concourir des pigeons voyageurs. Un loisir, un sport, une passion.

Quelle différence y a-t-il entre les pigeons, les tourterelles et les colombes? Le pigeon est l’espèce la plus imposante des colombidés. La tourterelle, la plus petite. La colombe est un pigeon de couleur blanche. Au Maroc, c’est le pigeon biset qui est le plus répandu dans les villes.

Il a un corps trapu, des ailes pointues, le bec mince et court et les pattes roses. Son plumage est gris clair, son cou se teint d’une belle couleur, allant du vert au violet. D’où la couleur en arabe dialectal: âneke lahmam (cou de pigeon). Dans la langue arabe, le pigeon et la colombe sont appelés hamama.

Il y a 5.000 ans, les Sumériens dressaient des pigeons voyageurs. Les Perses et les Phéniciens firent de même. Le roi Salomon s’en servait pour transmettre ses ordres dans son empire. Les marins pharaons les lâchaient pour annoncer leur retour. Les Grecs le faisaient pour annoncer les vainqueurs des Jeux olympiques. Jules César était informé des déplacements de l’ennemi grâce à des messages acheminés par des pigeons.

Dans la Bible, la colombe est symbole d’espoir, d’harmonie, de paix et de fidélité. Pour évaluer la profondeur des eaux, Noé, sur son arche, avait envoyé une colombe. Et lors du baptême de Jésus-Christ, le Saint-Esprit est apparu sous la forme d’une colombe. Dans le Coran, lors du déluge, c’est une colombe qui a guidé Noé vers la terre ferme.

Le Prophète a fui la Mecque pour Médine, pourchassé par les Quraychites, avec son compagnon Abou Bakr. Ils se sont cachés dans une grotte. Une araignée vint tisser sa toile sur l’entrée de la grotte et un pigeon y a pondu un œuf. Ce qui les a sauvés. D’où l’attention particulière accordée par les musulmans à ce volatile. À la Mecque, ils sont très nombreux et nourris généreusement. Il est interdit de les pourchasser. L’araignée n’a pas bénéficié de tels égards…

Pigeon et colombe symbolisent la paix et l’espérance. Dans l’Antiquité, les colombes étaient données en sacrifice à la déesse de l’amour, Aphrodite. Leurs œufs étaient vantés pour leurs vertus aphrodisiaques.

Les belles femmes sont comparées aux colombes, symboles de beauté, de pureté et d’amour. Un des plus beaux traités sur l’amour est Taouk al hamama (Collier de la colombe), d’Ibn Hazm, au 10ème siècle.

Les pigeons ont longtemps servi la communication, lorsqu’il n’y avait ni de télex, ni téléphone, ni smartphone. Ils ont été des messagers d’amour, des facteurs et des espions militaires.

Mais, à partir de 1832, l’invention du télégraphe dévalorisa ce rôle. Plus tard, il y eut la radio et d’autres outils de transmission. Malgré cela, durant la Première Guerre mondiale, l’armée française en a utilisé des milliers. Dans la guerre d’Indochine, au milieu du 20ème siècle, les militaires y ont aussi eu recours dans les zones enclavées.

Jusqu’aux années 2000, dans des villes européennes, les pigeons transportaient des prélèvements sanguins urgents entre centres hospitaliers et laboratoires, afin de contourner les embouteillages.

Aujourd’hui, les pigeons font le bonheur des colombophiles. Je me suis toujours demandé comment le pigeon pouvait reconnaître les adresses où on l’envoie. En fait, on ne l’envoie pas n’importe où. Le pigeon est très attaché au lieu où il a été élevé. Quand une personne devait voyager et voulait envoyer des messages via des pigeons, elle les prenait avec elle. Arrivée à un lieu donné, elle enroule un papier écrit autour de la pâte du pigeon et le lâche. Celui-ci, qui a mémorisé l’emplacement de «sa» maison, y retourne.

Les pigeons voyageurs, qui vivent en couple, sont très attachés à leur partenaire et à leur nid. C’est une performance innée, à laquelle viennent s’ajouter les techniques que les éleveurs leur apprennent. Ainsi, ils les transportent de plus en plus loin du pigeonnier et les libèrent pour qu’ils y retournent.

Le pigeon voyageur peut revenir à son pigeonnier sur une distance de 1.000 à 1.200 km. Sa vue, son odorat et son ouïe sont très développés. Il vole à une vitesse comprise entre 90 à 100 km/h et peut parcourir plus de 1.000 km par jour, sans s’arrêter. On l’appelle l’athlète du ciel.

Les colombophiles font participer leurs pigeons à des compétitions de 3 types: les pigeons de vitesse, pour des courses inférieures à 300 km, les pigeons de demi-fond, pour des distances de 300 à 500 km, et les pigeons de fond, pour des distances de 500 à 1.000 km.

Les champions peuvent coûter très cher. En 2019, un pigeon nommé Armondo a été vendu à 1,8 million de dollars canadiens, soit près de 12,6 millions de dirhams! En 2020, un pigeon voyageur belge, vendu aux enchères, a atteint le prix record de 1,6 million d’euros, l’équivalent de quelque 17 millions de dirhams! La Belgique est le pays le plus renommé pour la colombophilie, et les races belges seraient les meilleures du monde.

Le Maroc a une longue tradition dans la colombophilie. Il existe des milliers de pigeons et des dizaines d’associations et de clubs rassemblant les amateurs de cette discipline. Rien qu’à Casablanca, il y a près de 25 clubs. Différents concours nationaux et internationaux sont organisés, avec des lâchers de milliers de pigeons. Il y a même une Coupe du Prince héritier.

Dans nos contrées, un pigeon de compétition peut valoir jusqu’à 50.000 dirhams. Et même si le coût d’entretien de ce type d’animaux est élevé, cela ne décourage pas nos jeunes générations qui, souvent par manque d’espace, placent leurs pigeonniers sur les terrasses des immeubles.

À l’ère de la transmission instantanée des messages, le pigeon voyageur n’est plus utile. Mais il continue à être sublimé par les colombophiles qui perpétuent une tradition ancestrale, par amour, par plaisir et pour qu’elle ne soit pas définitivement effacée de la mémoire des peuples.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 21/02/2025 à 11h00

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