Sous l’ombre éparse issue de quelques limettiers sur l’avenue Mohammed VI, Yassine et Nabil trouvent le moyen de tourner la canicule en dérision: «Le soleil a décidé de prolonger son congé cette année», ironisent-ils en évitant autant que possible de s’exposer aux coups du soleil. Il fait 39°C, et hormis ces deux adolescents, très peu de personnes s’aventurent dans la canicule estivale de Marrakech. D’habitude, c’est en fin de journée que les jardins et espaces verts connaissent une forte affluence. Le soir, il faut s’y prendre à l’avance pour réserver son pré carré. Petites et grandes étendues de pelouse sont prises d’assaut par les habitants désireux de profiter d’un peu de fraîcheur.
Sauf que ces «îlots de fraîcheur» ont un coût écologique non négligeable. Pour arroser les 26 espaces verts publics de la ville, dont la superficie globale s’étale sur 228 hectares, il faut compter, d’après les chiffres recueillis auprès de l’Agence du bassin hydraulique de Tensift (ABHT), pas moins de 3,6 millions de m3 par an, soit près de 4,5% de la consommation annuelle du Grand Marrakech. «Pas sûr que les pouvoirs publics aient pris conscience de la mesure du danger que traverse Marrakech. Les élus doivent intégrer le changement climatique dans la politique de la gestion urbaine», tempête Ahmed Chehbouni, président du centre de développement de Tensift.
«Marrakech n’a plus les moyens de frimer»Dans un contexte qui pousse à adopter une posture plus résiliente tenant compte de la pression croissante sur les ressources en eau, tous les moyens seraient, a priori, bons pour économiser cette denrée rare. Ainsi, des voix au sein de la société civile s’élèvent pour dénoncer l’existence même des pelouses, dans une ville dont les précipitations annuelles n'excèdent guère les 300 mm par an. «Il est légitime de s’interroger sur la fonction environnementale des étendues de gazon. Marrakech n’a plus les moyens de frimer. Il faut arrêter de vouloir se comparer en matière de gestion d’espaces verts à des villes comme Tanger ou Rabat», précise Ahmed Chehbouni.
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En effet, dans des villes comme Tanger ou Rabat où les pelouses sont à perte de vue, la température moyenne annuelle est respectivement de 17.5 °C, et 18.1 °C. La moyenne des précipitations annuelles, elle, atteint 574 mm pour la perle du nord, et pas moins de 440 mm pour la capitale des lumières, à en croire Climate Data, un célèbre site de données météorologiques.
Le gazon, un luxe hors de portée?De jour comme de nuit, l’arrosage des jardins est nécessaire pour résister à la sécheresse. Au vu de la conjoncture, le gazon serait-il devenu un luxe que la ville ocre ne peut plus s’offrir? «Le gazon consomme à l’évidence beaucoup d’eau. Désormais, il faudrait penser à réaménager les espaces dégradés où le gazon ne pousse plus et opter pour des jardins sans pelouse, en le dotant pourquoi pas de sol en gravier», avance Boujemaa Belhand, expert dans le domaine de l’éducation environnementale. Et la réutilisation des eaux usées s’impose dans le contexte local comme un impératif, en particulier dans l’irrigation des espaces verts. La généralisation de l’arrosage de l’ensemble des espaces de la ville par les eaux réutilisées est d’ailleurs en cours de finalisation.
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Il va sans dire que le contexte de rareté d’eau conjugué à l’épisode de canicule qu’a enregistré cette année la ville interroge sur la pertinence des aménagements urbains et la nécessité de mettre en œuvre une stratégie d’adaptation au réchauffement climatique. Toujours est-il qu’au sein des espaces verts, les effets attribués à la nature tels que l’évaporation, l’ombrage, et l’entretien d’arbres centenaires participent à faire chuter la température et à lutter contre la formation de phénomènes connus de plus en plus sous l’appellation d’«îlots de chaleur urbaine».
La réflexion, bien qu’annonciatrice de la quête d’un nouveau paradigme, ne fait pas l’unanimité. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les Marrakchis demeurent plus attachés à leurs pelouses qu’à leurs jardins. Mais cet attachement renseigne sur le paradoxe de la gestion urbaine des espaces verts, entre laxisme et volonté de maîtrise, qui finit par rompre tout lien social. «Il ne suffit pas de créer des zones ombragées, d’aménager un terrain de jeu, des sentiers pour les courses à pied pour créer du lien social», explique Boujemaa Belhand,. D’après ce spécialiste, l’implication de la société civile dans la gestion urbaine des espaces verts publics devrait permettre aux citoyens de s’approprier ces espaces, préalable nécessaire à une gestion écologique durable.