Le360: Un médecin a été arrêté à Meknès pour avortement illégal. Quelle est votre réaction?
Pr Chafik Chraïbi: Je suis très en colère. Nous sommes au 21ème siècle, beaucoup de pays ont légalisé l’avortement, et au Maroc, on se base toujours sur une loi archaïque qui date de plusieurs décennies. Maintenant, on met des médecins en prison. Les médecins, on en a besoin dehors, pas dans des prisons. D’autant que nous avons un déficit en médecins et en infirmiers.
Ce médecin a pratiqué l’avortement. Certes, c’est illégal, mais quelqu’un qui pratique un avortement fait éviter à une personne d’aller vers l’avortement clandestin traditionnel qui sera fait dans de mauvaises conditions. Rappelez-vous le cas de la petite Meryem de Midelt qui, justement, avait été se faire avorter, en compagnie de sa mère, chez une femme qui n’a pas les capacités pour pouvoir faire un avortement dans les règles de l’art. Et la petite fille est morte. Il y en a eu d’autres, des cas comme ça. Celui de Meryem était très médiatisé, mais tous les jours, il y a des décès ou des complications très graves.
Les complications dues à l’avortement clandestin qui n’est fait pas dans des règles de la médecine, il y en a énormément. Des hémorragies, des infections, des septicémies, des intoxications aigües, des délabrements génitaux…
Où en est la loi sur l’avortement au Maroc?
Rappelez-vous que le roi Mohammed VI avait convoqué en mars 2015 le ministre de la Justice, le ministre des Habous et des affaires islamiques, ainsi que le président du CNDH et leur a demandé de mener des discussions pour parler de l’avortement et voir ce qu’ils pourraient proposer. Au bout d’un mois, nous sommes sortis avec les conclusions suivantes: l’avortement pourrait être autorisé en cas de viol, d’inceste, de malformations fœtales ou de jeunes filles ayant un handicap mental. Ce projet de loi a été en effet adopté en Conseil de gouvernement en mai 2016, avant de passer au Parlement pour être discuté en commission et voté en plénière, puis publié dans le Bulletin officiel. Mais depuis, silence radio.
Je me suis beaucoup inquiété. En 2018, j’ai écrit à Saadeddine El Othmani, alors chef du gouvernement, en lui demandant où en était ce projet pour lequel on s’était tant battu. Il m’a répondu qu’il était au Parlement. En 2019, nous avons organisé un sit-in en face du Parlement, plusieurs associations y ont participé. Par la suite, j’ai appris qu’effectivement, le projet a été discuté au Parlement, mais au sein de la Commission de la justice et non pas de la Commission des affaires sociales comme on l’aurait voulu. Le projet de loi a été intégré dans l’amendement de plusieurs articles du Code pénal marocain. C’est pour cette raison qu’il a pris beaucoup de temps.
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Ensuite est arrivé le Covid et on savait qu’il allait falloir devoir attendre encore. Maintenant, il y a un autre gouvernement, beaucoup plus progressiste que l’ancien, qui était conservateur. Ça fait plus d’un an que ce gouvernement est en place, et on attend. Je sais que beaucoup de partis travaillent sur la question, pas seulement sur l’avortement mais sur les libertés fondamentales en général.
Le droit à l’avortement entre dans le cadre des libertés fondamentales et un collectif, dont vous faites partie, vient d’être créé dans ce sens...
Nous sommes un collectif de huit personnes. Des personnalités très connues, dont Driss Benhima, ancien wali de Casablanca et ancien ministre, Yasmina Baddou, ancienne ministre de la Santé, Khadija Amrani et Asmae Lamrabet, pour ne citer qu’eux.
Nous avons travaillé pendant un an sur les libertés fondamentales: la liberté de culte, les rapports sexuels hors mariage, l’avortement, l’héritage... Nous avons donc consulté des oulémas, des personnes spécialisées sur la religion et nous avons fait des propositions pour chacun de ces sujets tout en veillant à ne pas heurter la tradition marocaine, ne pas heurter le conservatisme du Marocain. C’est suite au discours du roi Mohammed VI de juillet 2022 que nous avons commencé à travailler. Le Roi a dit qu’il fallait penser à la femme marocaine et faire une refonte de la Moudawana. C’est donc dans ce cadre que nous avons décidé de fonder ce collectif et de discuter de ces différents articles.
Qu’est-ce qui vous fait dire que le Maroc est en retard sur les libertés fondamentales et sur le droit à l’avortement?
J’ai assisté à un séminaire à Dakar il y a à peu près quatre ans. Il y avait à peine deux pays en Afrique qui avaient légalisé l’avortement: la Tunisie, même avant la France en 1973, et l’Afrique du Sud. Maintenant, figurez-vous que d’autres pays d’Afrique ont travaillé sur la question et on légalisé l’avortement. Il y a le Cap-Vert, le Bénin, le Botswana… Et en Europe, plus de 95% des pays l’ont déjà fait.
Votre association l’AMLAC était en campagne contre la contraception d’urgence. En quoi consiste ce mode de prévention?
Nous voulons prouver que notre association n’est pas pour l’avortement. Moi-même je ne suis pas pour l’avortement. J’aurais bien aimé qu’il n’y ait pas de grossesse non désirée et qu’il n’y ait pas d’avortement et nous vivrions dans le meilleur des mondes. Notre association travaille sur la prévention, et chaque année, nous organisons une campagne qui dure un mois, et c’est généralement en début d’hiver et en début d’été, pour la prévention des grossesses non désirées.
Il s’agit de la prévention par l’éducation sexuelle -et là, rien n’est encore fait, elle n’est toujours pas enseignée dans les écoles- et la contraception d’urgence. On essaie d’abord de montrer aux familles les différentes méthodes de contraception. Vous savez que le Maroc est leader dans la planification familiale. Il est connu dans le monde que c’est un excellent élève sur ce plan. Toutes les méthodes de contraception sont données gratuitement dans les hôpitaux et les centres de santé, que la femme soit mariée ou célibataire.
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La chose sur laquelle je veux vraiment insister, c’est que la contraception d’urgence (pilule du lendemain) n’est pas connue de tout le monde. C’est une méthode très importante. Il s’agit de la prise d’une pilule, un seul comprimé, lorsqu’une personne a eu un rapport sexuel non protégé, qui n’était pas programmé, et risque de tomber enceinte. La personne peut, dans les 5 jours qui ont suivi le rapport, prendre un comprimé et éviter une grossesse. Le mieux, c’est de le prendre le premier jour, car l’efficacité est très grande. C’est vendu en pharmacie et il y a même le ministère de la Santé qui va faire entrer cette pilule dans les centres de santé.
Quels sont les risques de cette contraception d’urgence?
Je dois faire passer deux messages. D’abord, si une femme prend cette pilule, cela ne veut pas dire qu’à 100%, elle ne va pas tomber enceinte, mais que si elle a un retard des règles de plus d’une semaine, elle doit faire un test de grossesse pour voir si elle n’est pas enceinte. Deuxième chose: c’est une bouée de sauvetage. Plusieurs jeunes filles ne veulent pas prendre de pilule normale et se disent «à chaque fois que j’ai un rapport, je vais prendre une pilule». Je ne le conseille pas, car cette pilule contient une très forte dose d’hormone. C’est 20 à 30 fois plus dosé en hormone qu’une pilule normale. Il y a plusieurs risques sur la santé. C’est donc une méthode qui doit être utilisée de façon sporadique, de façon exceptionnelle. C’est une bouée de sauvetage mais ce n’est pas une méthode de contraception habituelle.