Clap de fin pour la saga de la Ligue nationale de lutte contre les maladies cardiovasculaires

Le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb. En arrière plan, les locaux du CHU Ibn Sina de Rabat, qui ont abrité durant des décennies la Ligue nationale de lutte contre les maladies cardiovasculaires. (Photomontage de Y. El Harrak / Le360).

Après près d’un demi-siècle d’existence, le gouvernement a décidé de saborder la Ligue nationale de lutte contre les maladies cardiovasculaires. Retour sur la fabuleuse histoire d’une institution unique en son genre au Maroc et en Afrique.

Le 20/06/2024 à 12h33

Malheureusement ou heureusement -cela dépend par quel angle on prend les choses, la Ligue nationale de lutte contre les maladies cardiovasculaires a cessé d’exister depuis le 12 juin dernier. Ce jour-là, le Conseil de gouvernement a adopté un projet de loi pour dissoudre cette organisation née en 1977. Ses avoirs, équipements et personnels seront transférés, sans contrepartie aucune, au CHU Ibn Sina de Rabat, sous la supervision d’une commission spéciale dont le rôle et la composition seront arrêtés par voie réglementaire.

La Ligue des nantis

Cette institution a été fondée par un Dahir de Feu Hassan II pour travailler main dans la main avec le ministère de la Santé dans la lutte contre les maladies cardiovasculaires, première cause des décès au Maroc. Et tous les moyens avaient été mis à sa disposition pour réussir cette mission: exonérations en tous genres, subsides publics et privés et usage des équipements du CHU Ibn Sina, établissement qui l’abritait et auquel elle ne versait aucun loyer, ni même le moindre dirham au titre des factures d’eau, d’électricité ou de restauration de ses équipes.

Institution à but non lucratif, cette Ligue a vécu ses moments de gloire en disposant des technologies dernier cri en matière de traitement des maladies cardiovasculaires, sous la houlette d’éminents praticiens comme les professeurs Mohamed Benomar, Jamal Eddine Srairi, Allal Berrada ou encore Mohamed Agherbi, qui ont à leur tour formé des générations de médecins et d’infirmiers spécialisés.

Selon une source qui a suivi la saga de cette association, les premiers dérapages ont commencé à se faire jour dès les années 1980. À titre d’exemple, la Ligue aurait été alors la triste pionnière de la pratique des chèques de garantie, puisqu’on ne pouvait bénéficier de ses prestations sans les payer à l’avance.

Des cadavres dans le placard

Ces dérapages avaient un coût, parfois des plus élevés. Ainsi, en 2001, pris d’un malaise cardiaque, le juge Ahmed Majdoubi s’était vu refuser l’accès des locaux de la Ligue sans chèque de garantie. Il rendra l’âme faute de soins. L’affaire fait scandale, et elle n’était pas la seule, de nombreux autres cas ayant été moins médiatisés. Des parlementaires, des activistes des droits de l’Homme, des syndicalistes et autres membres de la société civile avaient bien tenté de se saisir du cas de la Ligue, mais en vain. La structure continuait à accumuler les bénéfices et à narguer autant l’éthique que la loi.

Il s’en est toutefois trouvé des voix pour batailler, de l’intérieur de l’association, pour changer la donne. Ce fut le cas, par exemple, de feu le Pr Abdelmajid Bouzoubaâ, qui s’employait à défier l’ordre établi en assurant des consultations gratuites pour les patients démunis.

Impuissants, les ministres de la Santé qui se sont succédé ont choisi d’ouvrir des services de cardiologie dans d’autres établissements publics à Rabat. Aujourd’hui, cette ligue n’existe plus. Juste après la prise de la décision de la dissoudre, son site Internet officiel a été désactivé. Mais reste une grande question: pour quelle raison exacte a-t-elle été sabordée?

Au ministère de la Santé, on assure que cela entre dans le cadre de la réforme en cours, de la réorganisation des structures de santé et d’une meilleure gestion des personnels. D’autres sources expliquent que cette dissolution est intervenue pour mettre fin à une aberration qui aura duré plusieurs décennies.

Par Mohammed Boudarham
Le 20/06/2024 à 12h33