Notre prof de math, Mme Durand, était formidable mais sévère, très sévère. Elle nous intimidait tous. Quand elle demandait à l’un de nous de passer au tableau, l’élève tremblait. Une peur irrationnelle nous figeait. Cette femme avait un charisme exceptionnel.
Un jour, un élève un peu voyou passe au tableau et ne répond à aucune de ses questions. Il est désinvolte, dissipé et légèrement inconscient.
Mme Durant lui demanda de sortir de la classe. Ce qu’il fit. Quelques secondes après, il revint et lui dit: «Je vous règlerai votre compte, madame».
Stupeur dans la classe. Elle, impassible, fit appeler le proviseur et exigea devant nous son renvoi immédiat du lycée.
Cela s’est passé, il y a longtemps, dans les années soixante.
Nous étions choqués et nous avions plaint le pauvre camarade qui s’était retrouvé dans la rue.
Le respect que nous devions à nos enseignants était égal à celui que nous avions à l’égard de nos parents. «Tu dois respect et reconnaissance à tes parents et à celui qui te livre du savoir», disait mon père. Il avait raison, et personne, à l’époque, ne remettait en question ce devoir.
Notre éducation commençait à la maison et se poursuivait à l’école.
Je raconte cette anecdote après avoir appris l’horrible assassinat d’une prof d’espagnol, âgée de 52 ans, dans un lycée de Saint-Jean-de-Luz en France. L’élève (16 ans) est arrivé au lycée avec, dans son cartable, un couteau fait pour tuer. Il est entré dans la salle de classe, a fermé à clé la porte et s’est approché de la prof qu’il a poignardée.
Ce n’est pas la première fois qu’un élève agresse un ou une prof. Il y a eu des coups, des insultes, bref un manque total de respect. Sauf que là, la violence a redoublé de férocité, et un crime a été commis.
Il ne faut pas parler de folie ou de troubles psychiatriques. C’est un assassinat prémédité comme cela s’est fait maintes fois en Amérique où un élève arrive et tue ses camarades.
D’où vient cette violence ?
Il faut dire que la morosité politique, la violence éhontée à l’Assemblée nationale, le manque de tenue de certains députés, mal habillés, utilisant les insultes et la provocation, le manque d’autorité et surtout le rejet de celle-ci; tout cela a concouru pour que cet élève s’autorise à tuer sa prof. Qu’importe sa motivation. On ne lève pas la main sur une prof, et bien sûr, on ne la poignarde pas. Ce n’est pas discutable, car ce n’est pas envisageable.
A la télé, les psychiatres, les pédagogues, les politiques commentent l’assassinat. Mais la question à poser est ailleurs: pourquoi la notion de respect fondamental a peu à peu disparu dans la plupart des domaines. On se souvient de la gifle reçue par le président Macron, comme on se souvient de Sarkozy, alors président, répondre à un délinquant en le traitant de «pauvre con» et qu’il allait nettoyer ce quartier au karcher. Ainsi la dérive a commencé en haut de la classe politique. Un président ne dit pas ça, ne fait pas ça!
La violence au lycée est née de l’absence de discipline et le refus systématique de la notion de respect.
L’Éducation nationale souffre de plusieurs maux, mais celui-ci est le pire.
Après l’assassinat du prof d’histoire, Samuel Paty, le 16 octobre 2020 par un terroriste tchéchène, la réaction de toute la France avait été digne. On pensait que plus jamais cela ne se reproduirait.
Mais les établissements scolaires n’ont pas retrouvé le calme et la discipline dont ils ont besoin. C’est à l’image de tout un pays où aucune réforme n’est possible, où les syndicats font le forcing par des grèves répétées et souvent inutiles. Ils prévoient de «bloquer le pays» le 7 mars. Tout devrait s’arrêter pour protester contre un projet de loi sur l’âge de la retraite fixé par le gouvernement à 64 ans, alors qu’en Italie et en Allemagne il est de 67 ans.
C’est la France du refus. Les syndicats disent: «On fait grève et ensuite on négocie!».
Peut-être que cette situation n’a rien à voir avec les motivations obscures de l’élève assassin. Mais il y a quelque chose dans cette France où l’opposition systématique et la pratique de la grève (surtout au moment des départs en vacances) sont une caractéristique d’un comportement rebelle où la démocratie a bon dos.
Selon une enquête de l’IFOP, un prof sur deux est victime d’une agression au cours de sa carrière.
Une société où un adolescent tue sa professeure est une société qui est minée de l’intérieur et qui aurait besoin de se poser les bonnes questions quant à sa santé, son équilibre, son humanité. Une minute de silence ne suffit pas à repanser les maux qui gangrènent ce pays.