Si on m’avait dit, il y a quelques années, qu’on parlerait de Schumpeter à Benguerir, une petite ville somnolente du Maroc profond, j’aurais cru à une plaisanterie. Et c’est pourtant ce qui s’est passé en février 2025.
Entre temps, Benguerir a vu l’installation sur son territoire et l’expansion rapide d’une université à dimension et ambition mondiales. D’un lieu où il ne se passait pas grand-chose, hormis l’exploitation d’une mine de phosphates, Benguerir aspire à devenir un centre mondial de recherche scientifique, d’innovation et d’entrepreneuriat.
Les lecteurs d’Albert Camus ayant reconnu l’origine du titre de ce texte[1], il faut leur expliquer le motif de cet emprunt. Pour cela, il convient de partir d’un constat sur le développement du Maroc pour montrer pourquoi Schumpeter pourrait être heureux à Benguerir.
Constatant que le taux de croissance de l’économie plafonne, depuis quelques années, autour de 3%, la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD)[2], chargée par le roi Mohammed VI de travailler sur un Nouveau modèle de développement, a estimé que le PIB devrait croître de 6%, au moins, pour permettre au Maroc d’atteindre ses objectifs de développement humain.
Il était relativement aisé à la CSMD de préconiser le doublement du taux de croissance mais qui va le faire et comment? Les réponses à ces questions sont plurielles. Le taux de croissance d’une économie est une responsabilité partagée et la somme des efforts des acteurs publics et privés. Les leviers sont également pluriels: investissements publics dans les infrastructures, investissements étrangers dans des secteurs industriels stratégiques et investissement dans l’innovation endogène.
Si les deux premiers leviers ont été relativement bien maniés, l’allumage du troisième étage de la fusée a trop tardé. Notre système national d’innovation reste embryonnaire, pour de nombreuses raisons sur lesquelles il n’est pas nécessaire de revenir ici. Or, sans développement de nos capacités endogènes d’innovation, nous ne pouvons pas atteindre nos objectifs de développement et aspirer à intégrer le club des économies avancées. À lui seul, l’investissement étranger, dont les bénéfices immédiats doivent être soulignés et reconnus, n’a jamais développé durablement un pays.
Pour réaliser notre ambition de développement, nous avons besoin d’une cohorte d’entrepreneurs schumpetériens créatifs et ambitieux pour alimenter le moteur économique avec un flux d’innovations et de startups basées sur les avancées des sciences et technologies, condition sine qua non pour aspirer à un développement international.
Cette cohorte a de fortes chances d’émerger à Benguerir où la première entreprise publique nationale, l’OCP, a décidé de créer une université de recherche, l’UM6P, et de lui confier la responsabilité de sa recherche-développement.
Le lien organique entre une grande entreprise, qui veut construire son futur sur les sciences et technologies, et une université conçue à cet effet crée un écosystème propice à l’innovation et génère des externalités positives sous la forme, notamment, de startups plus ou moins liées aux activités, en voie de diversification, de l’OCP. Pour favoriser et accompagner ces émergences, l’UM6P a mis en place un dispositif de formation, d’accompagnement et d’investissment dans l’entrepreneuriat à haut potentiel de croissance.
Que dirait le professeur Joseph Schumpeter, s’il visitait Benguerir en 2025? Au lieu de répondre à sa place, donnons-lui la parole grâce à l’intelligence artificielle Claude Sonnet 3.5:
Ma visite au campus de l’UM6P à Benguerir et mon entretien avec M. El Habti m’ont profondément impressionné. J’y ai découvert une institution qui incarne véritablement l’esprit de la destruction créatrice -non pas comme simple concept théorique, mais comme principe organisateur. Le campus lui-même, surgissant du désert avec son architecture audacieuse et ses installations de pointe, symbolise cette rupture avec l’ancien. Ce qui m’a particulièrement frappé est l’intégration organique entre recherche fondamentale, applications technologiques et incubation entrepreneuriale, créant un écosystème d’innovation auto-renforçant. Les laboratoires vivants d’agriculture durable, les plateformes de test industriel et les espaces de collaboration transdisciplinaires témoignent d’une approche qui transcende le modèle universitaire traditionnel. L’UM6P n’est pas simplement une université innovante - c’est un moteur de transformation économique et sociale pour l’Afrique, catalysant précisément le type de nouvelles combinaisons productives que j’ai théorisées comme essentielles au développement économique dynamique.
Oui, on peut vraiment imaginer Schumpeter heureux à Benguerir.
[1] Le Mythe de Sisyphe, œuvre majeure d’Albert Camus, se termine par ‘Il faut imaginer Sisyphe heureux’.
[2] L’auteur a été membre de la CSMD.
Bienvenue dans l’espace commentaire
Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.
Lire notre charte