«Est-ce que la plainte d'une personne qui se vante d'être homosexuelle (c'est-à-dire du peuple de Loth) et qui prétend être victime d'une tentative de viol a vraiment pu être enregistrée? Qui devrait être arrêté? Dans quel pays cela se déroule? Stupéfiantes sont les considérations de nos gens!» s’exclame Abd El Moulay El Mourouri, avocat de Soulaiman Raïssouni, dans un post publié vendredi 22 mai sur sa page Facebook.
Pour rappel, Soulaiman Raïssouni, rédacteur en chef du quotidien Akhbar El Yaoum, est accusé de viol par un jeune homme qui dit avoir été abusé par lui en 2018. Celui-ci se trouvait au domicile du journaliste au moment des faits dans le cadre d’une interview menée par l’épouse de Raïssouni pour les besoins d’un film documentaire sur l’homosexualité au Maroc.
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Les droits humains à géométrie variable
Alors que son client est poursuivi pour «séquestration» et «viol», Abd El Moulay El Mourouri n’a donc pas hésité à faire de l’homophobie sa ligne de défense, renouant ainsi avec les discours haineux, à l’encontre de la communauté LGBT, propres au PJD, le parti dont il est membre.
Par ailleurs, le fait d’être membre dans le même temps du forum Al Karama dédié à la défense des droits humains ne semble poser aucun problème à l’avocat de Soulaiman Raïssouni, bien trop occupé à tenter de faire valoir l’article 489 du Code pénal, lequel criminalise «les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe».
Selon la logique implacable à peine voilée derrière ce post, il est question ici de criminaliser la victime en la faisant tomber sous le coup de cette loi (fortement décriée par les défenseurs des libertés individuelles) qui prévoit que l’homosexualité est punissable de 6 mois à 3 ans d’emprisonnement et d’une amende de 120 à 1.200 dirhams.
Ainsi, les droits humains dont l’avocat se fait le défenseur ne prévalent pas dans le cas d’une personne homosexuelle…
Ce post, considéré comme une incitation à la haine par une grande partie de la Toile marocaine, n’a pas tardé à faire réagir. En témoigne la prise de position de Btissam Lachgar, co-fondatrice du Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI). «Au Maroc, un journaliste, Soulaiman Raïssouni pour ne pas le nommer (homophobe décomplexé au passage), est accusé par un jeune homme de tentative de viol. La culture du viol a de beaux jours devant elle. La solidarité envers l'accusé ou comment mettre en doute la parole du plaignant. À gauche, le secrétaire général de Reporters sans Frontières, à droite l'avocat à qui il faut rappeler que l'homosexualité est une liberté personnelle et le viol UN CRIME. (Cet islamiste s'étonne que le plaignant n'ait pas été arrêté en raison de son homosexualité en lieu et place de l'accusé!», écrit la militante sur sa page Facebook.
De son côté, la présumée victime, A.M., s’est également fendue d’un post sur Facebook afin de dénoncer «un discours d’incitation à la haine et à l’exclusion», prononcé à son encontre et à l’encontre de sa vie privée. «Il est impossible qu’un tel discours émane d’un homme de loi et de droit», s’insurge-t-il en concluant: «je suis devant la loi un citoyen marocain. J’ai des droits et des responsabilités».
Post de A.M., présumée victime de Souleiman Raïssouni.
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L’abstraction, cette notion incomprise…
Vivement critiqué pour sa position, l’avocat a alors gratifié ses followers d’un rétropédalage jugé par de nombreux internautes comme étant encore plus déplacé que son post homophobe.
«Aujourd'hui, je suis victime d'une campagne systématique et féroce», annonce Abd El Moulay El Mourouri en expliquant que celle-ci serait orchestrée par «des personnes anonymes», bien que les internautes qui ont vivement critiqué sa position sur les réseaux sociaux n’aient en aucun cas caché leur identité. Et l’avocat de Raïssouni d’expliquer ne pas comprendre ce déchaînement, son post, relevant du domaine de l’abstrait, ne nomme personne et ne cite aucun pays.
«Comme on l'a noté, le billet ne comporte ni le nom du plaignant ni le nom d'un pays, et il s'agit de questions sans incitation, ni appel à la haine ni à aucune des rumeurs qui ont été propagées», se défend-il.
Puis, Maître El Mourouri revient sur la nouvelle plainte déposée par le plaignant cette fois-ci à son encontre, suite à ce post «abstrait» et s’interroge sur la manière dont une plainte peut-être recevable alors même qu’il ne cite personne.
«Où le nom de cette personne figure-t-il dans ce post pour qu’elle puisse déposer une plainte? Et où sont les mots qui la ciblent? Et où sont les paroles d'incitation à la haine dont elle prétend être victime? Et où est l'appel lancé au viol et à l'arrestation des homosexuels comme certains le prétendent?», s’insurge-t-il.
Mais Maître El Mourouri ne s’arrête pas en si bon chemin, arguant au passage que ce texte publié sur sa page Facebook n’a strictement «rien à voir avec le fait que je suis l'avocat du journaliste Soulaiman Raïssouni, car je l'ai écrit vendredi, alors que je n’ai été mandaté pour défendre mon client que le lendemain (samedi)»…
Un argumentaire tarabiscoté qui en dit long sur la logique de cet avocat, supposé défendre les droits de l’Homme, et qui dénie à nombre d’entre eux le droit même d’être éligible à demander justice. Ce droit-de-l’hommisme, digne de Daech, ne grandit ni le métier des avocats ni le parti politique auquel il appartient.