Feu Mohamed Bouzoubaâ a occupé le poste de ministre de la Justice en 2002 dans le gouvernement de l’alternance de Driss Jettou, poste qu’il conservera jusqu’en 2007.
Il a suivi de près la réforme du Code de la famille en 2004, au moment de l’effervescence féministe nationale. L’espoir était grand de voir advenir une réelle parité homme-femme. Cependant, à sa promulgation, il s’est avéré que l’une des parties du couple, l’homme en l’occurrence, avait été fortement défavorisée. Les lois discriminatoires de la pleine responsabilité financière de l’époux, en toute chose conjugale, avaient été maintenues. L’homme s’est retrouvé seul, abandonné dès lors, devant une montagne d’obligations et de devoirs d’ordre pécuniaire.
On doit à ce ministre une curieuse loi sur la pension alimentaire de l’épouse qui ne figure pas dans le Code de la famille. Elle a été ajoutée dans le Code pénal traitant des crimes et des sanctions encourues. La loi controversée 480, dont je vais vous parler aujourd’hui, n’a pas été suggérée par la commission de la réforme de 2004 nommée par Sa Majesté le roi Mohammed VI. Sans doute fut-elle soufflée à Mohamed Bouzoubaâ par certaines associations féministes zélées.
Selon le Code de la famille, la pension alimentaire de l’épouse est obligatoire durant le mariage et reste de mise après le divorce pour une période de viduité de trois mois (idda):
«1. Le travail de l’épouse n’est pas une raison pour annuler la pension alimentaire due à son épouse (art 194).
2. La pension alimentaire est due à l’épouse bien qu’elle quitte le domicile conjugal. Toutefois, l’épouse qui refuse de rejoindre le domicile conjugal après sa condamnation à cet effet, perd son droit à la pension (art. 195).
3. Une femme divorcée a droit à une pension de viduité même si le divorce est dû à un motif qui lui est imputable (art. 94).»
Quels sont les cas de figure où l’épouse perd son droit à la pension alimentaire? Un seul: «L’épouse perd son droit à la pension alimentaire lorsqu’elle quitte le domicile conjugal et que le tribunal la condamne à rejoindre le domicile conjugal et qu’elle refuse» (art. 195, Code de la famille).
Passons à la fameuse loi pénale. L’affaire se corse lorsque le mari est démuni ou s’il est chômeur pendant une longue période. Il devient, de fait, un criminel s’il ne règle pas le dû: «Est puni de l’emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 200 à 2.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, l’époux qui, au mépris d’une décision de justice définitive ou exécutoire par provision, omet de verser à l’échéance fixée une pension alimentaire à sa conjointe. En cas de récidive, la peine de l’emprisonnement est toujours prononcée» (art. 480, Code pénal).
Que dire de cette loi irrationnelle qui transforme le mari en malfaiteur?
En premier lieu, le défaut de paiement de la pension alimentaire des enfants n’est pas évoqué dans le Code pénal. La loi 480 est taillée sur mesure pour l’épouse. Peut-être que feu Mohamed Bouzoubaâ a eu du scrupule à impliquer des enfants dans l’emprisonnement de leur père.
Bien des maris ont essuyé l’affront de l’arrestation depuis la promulgation de cette loi inhumaine. Malheureusement, aucune statistique n’est rendue publique, mais on peut estimer leur nombre à plusieurs dizaines de milliers, voire davantage, depuis dix-neuf ans que le défaut d’entretien est devenu un crime sanctionné par le Code pénal.
Voici comment les choses se passent: le mari reçoit la visite de la police, qui stationne, en estafette, devant chez lui. Ça jase dans le quartier! Les mauvaises langues se délient. Le mokadem est au courant, et parfois aussi le simple gardien de sécurité de l’immeuble. Si le quartier est populaire, l’attroupement des badauds et des adultes désœuvrés qui trainent dans les parages est de mise. Bref, c’est la chouha, la honte pour le transgresseur qui a osé laisser son épouse sans le flouss.
L’époux empoche donc, en guise de retour conjugal, sa convocation pour s’expliquer à la préfecture de police. Une fois sur place, les policiers le grondent, lui racontent que sa dulcinée –même si elle travaille- est incapable de vivre sans son pécule, et qu’il doit dare-dare emprunter de l’argent et solutionner ce problème transformé en affaire d’État.
Supposons que le malheureux, pour une raison quelconque, soit vraiment dans la dèche, une situation financière difficile qu’il n’arrive pas à dépasser à ce moment-là. Où trouver l’argent de la créance? Pas de parent, d’ami ou d’agence de crédit pour un coup de pouce... Il lui reste la possibilité de voler l’argent, mais c’est un homme intègre, comme la plupart des citoyens, et il n’y pense même pas! Il sait qu’il risque gros avec la justice, mais notre miséreux refuse de devenir un vrai bandit à cause d’une femme qu’il a, ou qu’il aime toujours.
Eh bien, quelques semaines plus tard, la police donne suite à la loi Bouzoubaâ, et un avis de recherche est émis contre sa personne. Oui, vous avez bien lu! Il intègre la liste des criminels recherchés au Maroc. Son nom surgit dans tous les postes de police, et la recherche de l’individu est activée. Il sera arrêté par plusieurs flics et menotté dans son quartier, dans un hôtel lorsque la liste des clients est transmise à la police, lors d’un contrôle si l’agent des forces de l’ordre se souvient de son nom ou demande une vérification par talkie-walkie au centre chargé des dossiers des recherchés, etc.
Le comble, c’est que la fameuse liste des délinquants ne renferme jamais le motif de la recherche, mais la photo, le nom, le prénom, le numéro de CIN, ce qui signifie que les policiers qui se saisissent du mari ne savent pas à qui ils ont affaire: un meurtrier, un Escobar en fuite, un terroriste ayant déjà posé des explosifs...
Notre homme est ensuite tout simplement conduit pour une garde à vue de 48 heures, dans une cellule, comme un vulgaire malfrat. Il fréquente de vrais criminels cette fois-ci, en attente d’être présenté devant un juge. Il est fait prisonnier et passera directement de sa cellule au tribunal pour rendre des comptes à la justice. Voilà la vérité troublante sur les relations homme-femme au Maroc! De quoi ne plus dormir si on est amoureux...
Ça tombe sur les maris sans avertir. Quand ça se produit, une telle loi tue socialement, ça détruit les familles, les amis, les rêves. L’homme est bouleversé pour toujours.
Un homme arrivé à une telle situation est vraiment financièrement dans le gouffre, notamment si la police s’en mêle à sa première interpellation et qu’il obtient d’elle un délai. Il prend très au sérieux le collet, ou la corde –comme vous voulez-, qu’il risque de se voir apposer sur son tendre cou.
Une loi 480 qui le convertit en filou, en monstre, ruine sa vie professionnelle –surtout s’il est fonctionnaire car l’État ne tergiverse pas avec les condamnés et les renvoie systématiquement ou bloque leur carrière-, fait de lui un paria aux yeux de sa progéniture et de sa famille.
Pourquoi criminaliser la relation homme-femme qui a débuté, logiquement, dans l’amour? La loi pénale 480 est une catastrophe nationale accommodante pour les 80 associations et fondations féministes consultées longuement par la commission de la réforme de 2004.
Trop n’est jamais assez...
Cette loi devra, un jour, être abolie. Elle est utilisée à tout bout de champ par les avocats responsables des dossiers des épouses qui, très souvent, se font payer lorsque l’argent des maris est récupéré par leurs clientes. Elle stigmatise l’homme, d’autant que beaucoup de nos concitoyens vivent sans être riches, voire de manière précaire lorsque l’on observe les piètres revenus et les conditions de vie difficiles des classes défavorisées.
Feu Bouzoubaâ a laissé une vraie bombe sociale derrière lui en quittant le monde d’ici-bas. Qu’il repose en paix...