Maklate az-zanqa, cuisine de rue et street food au Maroc: richesse et saveurs

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueC’est l’œil qui mange et non l’estomac (adage marocain). Mais face à la diversité de l’offre, difficile de ne pas contenter son estomac.

Le 11/08/2023 à 11h01

Les vacances riment avec sortie. Sortie rime avec manger!

Tu marches sagement dans la rue, quand un fumet de bouillon d’escargot, de chfènjes (beignets marocains) et de lakbale (épis de maïs grillé) te happe. Impossible d’y résister! Les chariots de lkarmousse alhanedi (figue de barbarie) te font de l’œil.

Chaque région a ses splendeurs culinaires, qui rivalisent en saveurs. Dans le Nord, bayssar (purée de fèves séchées). À Rabat, Fès et Oujda, lma’qouda, la pastilla des pauvres (croquettes de pomme de terre). À Marrakech, à pal place Jemaâ al Fna, jus de fruits frais et grillades.

Dans les souks, lahsouwa noyée d’huile d’olive (bouillon à l’orge). Lahrira, arôme de céleri, persil et coriandre.

Les sardines grillées dans les villes côtières, les fritures de poisson… Lmadfouna (pain farci) au Tafilalet, Caliente dans le Nord ou Karane dans l’Oriental (galette de pois chiches).

Msemène, harcha, batboute et pâtisseries marocaines à des prix qui défient toute concurrence.

Sikouke, graines de couscous au lben (petit-lait). Multiples variétés de sandwichs accompagnées de frites croustillantes.

Des saveurs s’échappent des échoppes: hargma (pieds de veaux), douwara (tripes), tride ou rfissa (aucun mot n’exprime son goût exquis, il ne se traduit pas, il se savoure!).

Cacahuètes, pois chiches et pépites, pipas dans le Nord, bien salés, que le gallaye grille patiemment sur feu doux.

Les monticules d’olives de toutes les couleurs. Irrésistibles! Avez-vous remarqué que les olives sont le seul produit que nous dégustons gratuitement, avec la bénédiction des commerçants, sans que ce ne soit malhonnête?

Les jus de toutes sortes de fruits, instantanés, frais, y compris celui de canne à sucre.

À ces délices se sont ajoutés des mets étrangers: crêpes salées ou sucrées, kounafa (pâtisserie libanaise) et autres spécialités des pays d’Afrique subsaharienne.

Lmahlaba! Concept unique, purement marocain: laiterie où l’on déguste, avec peu de moyens, laitages, cocktails de jus de fruits et sandwichs. Des lieux prisés surtout par les jeunes. Ni restaurants aseptisés, ni échoppes traditionnelles, ni vente en plein air. Une sorte d’épicerie, au confort modeste, où l’on mange bien, même tard la nuit.

À Casablanca, il y a même la mahlaba-drive: tu restes dans ta voiture, on t’apporte le menu. On te livre sans que tu bouges.

Hier encore, tous les aliments consommés par les familles étaient préparés à domicile par les femmes. Des doigts de fée à qui nous devons la richesse de notre gastronomie, des tableaux hauts en couleur, harmonieux.

Chaque région y contribue par ses spécificités et son terroir: différentes variétés de couscous, innombrables tajines, pastilla, grillades, fritures, pâtisseries, boissons chaudes ou fraîches… Une longue liste dont la seule évocation déclenche une avalanche de fantasmes gastronomiques.

Manger pour vivre ou vivre pour manger?

Les deux, pour nous autres Marocains. Dans les foyers démunis ou nantis, les repas sont partagés par les membres de la famille dans un cérémonial et une chaleur qui relèvent le goût des plats préparés avec amour et passion.

L’hospitalité marocaine, légendaire, est réelle. Partager un repas est la meilleure expression d’affection et d’amitié.

Quand une famille ouvre sa maison à une personne, elle lui ouvre son cœur et créée avec elle des liens sacrés. Chrakna tâame, dans certaines régions, chrakna lmalha (on s’est associé dans l’alimentation, ou le sel) est une obligation réciproque morale de fidélité. Kliti t’âmi (tu as mangé mes aliments): nous sommes liés par un pacte tacite. Son non-respect peut entraîner un malheur.

Aujourd’hui, le consommateur se déplace pour s’approvisionner. Jadis, et aujourd’hui encore dans les petites villes et villages, les aliments se déplaçaient vers le consommateur: les vendeurs ambulants sillonnent les rues en chantant haut et fort leurs mélodies spécifiques à chacun, à chaque produit, à chaque région.

Le vendeur de glace: la baniiiiiiiiiiille (vanille). Le vendeur de pois chiches ou fèves chaudes au cumin: tayeb ou hari a drari (cuit et tendre, les enfants!). Le marchand des cacahuètes: Tgarmilaaaa (croustillant). Le marchant de nougatine: Jabane koul ou baaaane (mange et fais-toi voir). À la plage, bini chouuuuuuu, crie le vendeur de beignets chauds à la confiture. Des mélodies qui, entendues dans la rue ou à travers les murs des maisons, développent un réflexe de Pavlov irrésistible.

La modernité a imposé d’autres modes de consommation culinaire. Les règles d’hygiène ont limité la consommation de certains produits vendus en plein air.

Mais l’appel des vendeurs est attrayant: le vendeur ambulant de babbouuuuches (escargots) ou alhandyaaa (figue de Barbarie) autour desquels s’agglutine une population de tous les niveaux socio-économiques.

La place de Jemaâ El Fna! Les plus récalcitrants des passants, piégés par l’offre de dégustation, fléchissent.

La cuisine de rue a été envahie par les femmes, y compris les rurales dans les souks, alors que c’était une affaire d’hommes. Les femmes et les fillettes y avaient accès lors de rares sorties en famille à l’occasion de fêtes religieuses ou nationales et lors des moussems annuels.

Les livraisons de plats à domicile se sont vite développées pendant et après le Covid, mais ne concernent qu’une minorité de citadins.

Maklate az-zanqa a encore longue vie. Je le souhaite car elle fait partie d’un prestigieux patrimoine immatériel qui fait notre fierté. La mienne, en tout cas.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 11/08/2023 à 11h01