Maudit Oued Cherrat !

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Détenant un triste record de tragédies, Oued Cherat s'est forgé avec le temps une sinistre réputation de faucheur de vies. Est-il (réellement) hanté ? Maudit ? Plongée dans l’univers mystérieux d'un lieu féérique devenu un enfer.

Le 13/06/2015 à 10h10

En apparence, l’endroit n’a rien d’un décor d’Apocalypse. Un bout de paradis situé à la lisière des deux municipalités de Skhirat et Bouznika, qui vient flatter le regard par sa faune sauvage, le bleu merveilleux du littoral Atlantique et ses belles plages, couleur topaze. «Un très bel endroit à découvrir pour la baignade et le surf», recommande le “Petit Futé”, qui égrène, un à un, les mille atouts de ce coin enchanteur. Mais voilà, l’endroit est devenu synonyme de «beauté fatale».

Il y a comme une face sombre de cette beauté, dont les charmes ne séduisent que pour mieux détruire. Dimanche 7 juin, 13 enfants, garçons et filles, tous des graines de champions de Tae-kwon-do, voulaient fêter, sous le regard satisfait de leur moniteur, le sacre national qu’ils venaient de remporter. Ils se sont rendus sur une plage «non gardée» d’Oued Cherrat. Une violente houle a englouti une bonne dizaine d’entre eux, emportant à tout jamais leur rêve ultime de devenir des champions… 

La classe politique est en état de chocHasard des circonstances ? Cette tragédie rappelle cruellement bien d’autres. Dimanche 9 novembre 2014, la classe politique est en état de choc. Ahmed Zeïdi, député-maire de Bouznika et ancien chef du groupe parlementaire de l’USFP, est mystérieusement victime (presque) du même scénario! A ce détail près que Zeïdi fut emporté par les crues d’Oued Cherrat, précisément sous le pont dit “Hammou”, qui se situe à quelques encablures de la plage où une dizaine d’enfants ont été engloutis en ce tristement célèbre dimanche 7 juin 2015.

Hasard ou pure coïncidence, les deux drames sont survenus un dimanche et (presque) au même endroit. Mais passons, car cette funeste liste de tragédies est loin d’être exhaustive. Dimanche 7 décembre, le quatrième après celui qui a vu la mort de Zeïdi, un violent accident ferroviaire emporte un autre homme politique, en l’occurrence le ministre d’Etat Abdellah Baha, alter ego du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane. A 18 heures, de retour de Casablanca, Abdellah Baha, après avoir accompli la prière dans une mosquée de Bouznika, s’est rendu curieusement sur le lieu où Ahmed Zeïdi a trouvé la mort : le pont Hammou, près du passage à niveau ferroviaire. Il a été percuté par un TNR (Train navette rapide) reliant Casablanca et Rabat.Ironie du sort, le ministre d’Etat Abdellah Baha avait assisté à l’enterrement de Zeïdi et fait cette déclaration presque testamentaire: «Ceci est la volonté de Dieu, et nul ne peut s’y opposer».

Mehdi Ben Barka a failli y laisser sa peau

«Volonté de Dieu», certes. Mais le mystère Oued Cherrat n’en demeure pas moins troublant. Pourquoi ce pont cristallise-t-il à lui seul les attributs de la fatalité ? Est-il réellement «hanté» comme le laisse entendre l’imaginaire collectif ? Un autre incident, celui-là est bien le fait des hommes-, vient rajouter au trouble. Vendredi 16 novembre 1963, Mehdi Ben Barka, fondateur de l’UNFP (Union nationale des forces populaires) et leader de la Tricontinentale, a failli y laisser sa peau. Au même endroit (et au mois de novembre !) où un ex-compagnon de route, le socialiste Zeïdi, est décédé. Seule différence, Ahmed Zeïdi est mort accidentellement, alors que Mehdi Ben Barka survécut miraculeusement à une tentative d’assassinat.«Le colonel Oufkir a pris soin de présenter ce qui est arrivé à Mehdi Ben Barka près du pont Oued Cherrat, à la fin de l’année 1962, comme un des multiples accidents de la circulation qui surviennent régulièrement entre Rabat et Casablanca», rapporte cet autre militant de l’USFP, Abdeltif Jebrou, dans ses mémoires politiques.

Accident ? Tentative d’homicide volontaire ? Cela n’enlève rien à l’énigme Oued Cherrat qui s’est forgé, au fil des temps et des tragédies, la sinistre réputation de faucheur de vies. Mystérieux. 

Par Ziad Alami
Le 13/06/2015 à 10h10