Pédocriminalité

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.. Le360

ChroniqueLa pédocriminalité existe au Maroc avec des prédateurs marocains et sans doute musulmans. La société marocaine est comme toutes les autres sociétés: le mal y circule et l’homme en fait sa passion sinon son mode de vie.

Le 30/09/2024 à 11h00

S’il est un domaine où la justice doit être impitoyable, c’est celui qui touche à la pédocriminalité. J’utilise ce mot à dessein, parce que celui de «pédophilie», c’est, étymologiquement, «l’amour des enfants». On peut aimer les enfants -un amour noble et filial- sans pour autant abuser d’eux.

La pédocriminalité relève de la maladie. Il faut être profondément dérangé psychiquement pour profiter de l’innocence d’un enfant et le traumatiser à vie. On dit que les violeurs sont des gens qui auraient subi la même violence quand ils étaient enfants. Pas sûr. Quoiqu’il en soit, cette dérive perverse existe et rien ne sert de la nier ou de ne la voir que chez des étrangers. La pédocriminalité existe au Maroc avec des prédateurs marocains et sans doute musulmans.

Il fut un temps où le tourisme sexuel se tournait vers Marrakech et Tanger. Mais à en croire les pédocriminels qui tiennent leur journal de bord et le publient, «le paradis» de la sexualité libre avec des enfants serait en Thaïlande.

L’État a sa part de responsabilité dans ces drames. La protection de l’enfance est un devoir indiscutable. Or, combien d’enfants des rues traînent dans les quartiers malfamés de Casa et d’ailleurs? Ils ont leurs codes, leurs chefs et leur économie. (Voir l’excellent film de Nabil Ayouch «Ali Zaoua, prince de la rue», 2001).

Cette enfance perdue est une honte pour notre pays où l’on sait que chaque naissance est un précieux capital humain. Certes, il y a les enfants abandonnés dès la naissance et d’autres jetés dans la rue parce que la mère est seule et n’a pas les moyens de subvenir à leurs besoins.

Les associations font bien leur travail, mais elles restent marginales par rapport à l’immensité et la gravité de la situation qui débouche sur la prostitution des mineurs.

À la base, il y a l’interdiction de l’avortement. Il est temps que le Parlement règle cette question qui se solde chaque année par des centaines, voire des milliers morts.

Récemment, la brigade de cybersécurité de Rabat a démantelé un réseau de prostitution de mineurs. À leur tête, un adulte ayant créé un réseau sur la Toile, fournissant des contenus pornographiques pour attirer des clients.

Tout cela est nauséabond. Une organisation structurée pour livrer à des pervers des enfants sans défense.

J’espère que la justice fera son travail jusqu’au bout. Il est aussi important que les médias en parlent et fassent savoir qu’il existe une police qui traque les pédocriminels, quels qu’ils soient et où qu’ils soient.

Un message clair est à envoyer à tous ceux qui rêvent de faire le voyage de la perversité pour assouvir leurs désirs malsains. Ceci pour les étrangers. Quant aux citoyens marocains atteints de cette maladie, ils doivent savoir qu’ils pourraient se faire soigner.

Le dernier roman d’Abdallah Taïa, «Le Bastion des Larmes» (Julliard), raconte comment, enfant, lui et ses copains, se faisaient attraper par des adultes qui les violaient en toute impunité et les lâchaient dans les rues de Salé, le sang coulant sur leurs cuisses.

Il évoque ce qui se passe dans les hammams: «Le vieux fait semblant de laver l’enfant. Ses mains se baladent partout sur le corps de l’enfant. La tête, le cou. La poitrine. Le dos. Elles entrent dans le slip de l’enfant. Il se met à le savonner. Très vite, il est déjà en bas du corps. Derrière. Entre les fesses. À l’aide de son doigt, le vieux va violer cet enfant. Faire de lui son objet sexuel. Tout cela se passe dans un lieu public. Devant les autres qui voient sans voir.» (page 136).

Cela nous le savons. Il est bon qu’un écrivain qui en a souffert le rappelle avec justesse et réalisme.

La littérature sert aussi à dire une société dans ses travers les plus pourris, les plus atroces, tout en montrant un visage lisse et satisfait. Non, la société marocaine est comme toutes les autres sociétés: le Mal y circule et l’homme en fait sa passion sinon son mode de vie.

L’humanité, dans son ensemble, n’est pas très belle. Dans une précédente chronique, je rendais hommage à un héros, un «saint». Mais aujourd’hui, je vous dis qu’il existe parmi nous des hommes indignes qui profitent de l’innocence des petites filles et garçons pour les abuser. Ces crimes ne doivent pas rester impunis. Les enfants ont peur de parler. C’est aux parents d’être vigilants et de parler, même si le criminel est un membre de la famille. Car c’est souvent le cas.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 30/09/2024 à 11h00