N’étant pas Français, je m’interdis de porter le moindre jugement sur les résultats des élections de dimanche dernier. C’est quelque chose qui ne regarde que nos amis Français. Nous souffrons assez de l’incessante intrusion d’Hexagonaux mal informés ou malveillants dans nos affaires pour ne pas faire comme eux, mais dans l’autre sens. Cela dit, je fais une exception: comment les Français du Maroc ont voté, ça nous regarde quand même un peu.
Si j’accueille chez moi, dans ma maison, Benoît Tartempion et que je l’entends dégoiser des insanités xénophobes en lapant ma harira et en s’essuyant les pieds sur mon tapis berbère, je serais dans mon droit en lui décochant la fière injonction de Diogène à Alexandre le Grand:
- Ôte-toi de mon soleil, Tartempion!
Et encore, je serais poli en disant cela, parce que Renaud le barde lui aurait craché: «Pis t’as rien à foutre dans mon monde/ Arrache-toi d’là, t’es pas d’ma bande/ Casse-toi, tu pues/ Et marche à l’ombre.»
Donc, on a quand le même le droit de s’étonner: 23% des Français qui habitent à Agadir et qui ont voté dimanche dernier ont porté leur choix sur le Rassemblement National, (in)digne héritier du Front National de Jean-Marie Le Pen.
Étudier attentivement le programme du RN, comme je l’ai fait, est une perte de temps. Il ne constitue qu’un habillage parfaitement oiseux d’une seule obsession: la détestation de l’Autre, surtout quand il est un peu basané et trop musulman. (On n’entendrait jamais le FN/RN réclamer l’expulsion d’une Norvégienne, eût-elle tenu tout le marché de la coke à Marseille.)
Quant à la posture anti-Union Européenne des Le Pen/ Maréchal (on dirait un regroupement familial, ces gens-là…), elle n’a comme soubassement que l’envie de régler chez soi, entre soi, la question de l’immigration, sans la censure de Bruxelles.
Mais encore une fois, tout cela ne nous regarde pas, du moment que ça s’exprime à Trécon en Marne ou à Saligos dans les Hautes-Pyrénées.
Mais à Agadir? Agadir! J’y suis presque né, à Agadir, moi.
J’aimerais bien rencontrer un Norbert ou une Paulette, résidents de la capitale du Souss, j’aimerais bien les coincer dans une venelle obscure de L’battoir ou de Talborjt, pour qu’ils m’expliquent, les yeux dans les yeux, franchement, comment on peut être xénophobe tout en habitant chez le xenos (l’étranger, en grec). Ce n’est pas très logique.
À moins que Norbert n’aime tellement les Marocains qu’il préfère qu’ils restent dans leur pays, autour de lui, à portée de voix («garçon, un café!»), à portée de main, au lieu de s’aller perdre dans les frimas du Nord?
À moins que Paulette ne soit secrètement amoureuse de Jordan Bardella (rhââ lovely…) et qu’elle n’ait voté pour lui que comme on accorde son suffrage à un crooner sirupeux dans un radio-crochet?
Allez, le cœur est vaste, comme disait ma grand-mère. Norbert, Paulette, vous pouvez rester chez nous, à Agadir ou Marrakech, mais ne vous étonnez pas si un jour quelqu’un vous renvoie au visage le slogan de votre parti, à peine modifié: le Maroc, tu l’aimes ou tu le quittes.